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d’encouragements à poursuivre la carrière des lettres et d’une demande de compte rendu. A peine engagé dans une carrière qu’il ne prévoyait pas devoir être si brève, sans autre ressource que son talent, comme disait son père, Augustin Thierry fait montre dans sa réponse d’une prudente circonspection.

« Vous avez écrit pour les savants, dit-il, dans une lettre datée de Compiègne, le 13 janvier 1814, je dois écrire pour les gens du monde ; aussi notre marche ne doit-elle pas être la même. Vous pouvez être hardi tout à votre aise, mais il faut que je me montre plus circonspect. Annoncer tout d’un coup le but et le plan de tout l’ouvrage, ce serait peut-être effrayer des lecteurs peu habitués à l’exercice de la pensée et par conséquent peu capables de s’élever tout d’un coup à la hauteur d’une idée trop générale : aussi j’ai cru qu’il était à propos de présenter d’abord isolé le Mémoire sur la science de l’Homme, et de ne laisser voir que plus tard dans quelle intention il a été écrit. Cette histoire des progrès de l’esprit humain, fondée tout entière sur des faits et remplie d’idées neuves et ingénieuses, en excitant l’attention du lecteur, le préparerait peut-être à écouter avec moins de surprise les idées qui doivent suivre.

Je suis pénétré, Monsieur, de la bonté que vous avez de me faire votre secrétaire et de faire passer à la faveur de vos belles idées les premiers essais de ma plume. Je répondrai, Monsieur, autant qu’il sera en moi, à vos intentions généreuses. Si vous daignez me faire connaître à quelques directeurs de journaux, ayez la bonté de taire mon nom, car je suis engagé dans une 1carrière où les réputations sont délicates et j’ai pour arbitres de mon sort des gens en qui tout abonde, excepté le sens commun.

Vous entendez qui je veux dire. Permettez, Monsieur, que je félicite ici mon ami Péclet du bonheur qu’il a de vous connaître et veuillez agréer, etc… »

Le Mémoire sur la science de l’homme, adressé par son auteur a tous les puissants du jour, venait fort à propos de lui procurer quelques ressources. Il se trouvait momentanément hors de sa détresse coutumière. Accepter de l’argent était pour le gentilhomme philosophe geste aussi naturel qu’en offrir.