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du principal, M. Monchoux, demeuraient impuissants à conjurer un désastre qui s’accélérait d’année en année. Le collège était donc mal noté en haut lieu. Méditant déjà des projets littéraires, Augustin Thierry accueillit néanmoins avec joie une désignation qui offrait à ses yeux l’avantage de ne point trop l’éloigner de Paris.

D’alarmantes rumeurs circulaient alors dans la petite ville. Il n’était bruit que de l’invasion prochaine et de la menace d’une armée ennemie. Comment résister ? Le pays était ouvert ; on n’avait ni armes, ni soldats et la garde nationale venait de partir en toute hâte pour Anvers. En même temps, se répandaient dans les campagnes de clandestines proclamations, au nom de prétendants inconnus. Beaucoup montraient leur effroi, quelques-uns ne cachaient plus leurs espérances. Au milieu de ce désarroi général, arrivaient des ordres formels émanés du ministère de l’Intérieur : « A la première apparition des coureurs ennemis, disait M. de Montalivet, chaque fonctionnaire public devra évacuer la ville pour se replier de proche en proche sur Paris. » Ces déplorables instructions qui entravaient notre résistance ne tardaient pas à être exécutées. En janvier 1814, les avant-postes autrichiens s’étant montrés dans les faubourgs de Compiègne, ordre fut donné à la colonie des fonctionnaires d’évacuer la ville à la suite du sous-préfet : le collège se trouva sans professeurs.

Rentré à Paris au début de février, Augustin Thierry, pauvre, sans autres relations que les amitiés nouées à l’Ecole Normale, se trouvait sur le pavé. Il balança un moment de regagner Blois, d’y attendre la fin de la tourmente. La crainte de tomber à la charge des siens, les conseils et les promesses d’un homme qui devait exercer une puissante influence sur les premières années de sa jeunesse, le détournèrent de ce projet.


III. — LE SECRÉTAIRE DE SAINT-SIMON

Quittant vers la fin de 1812 les paisibles hauteurs de Charonne, un bizarre personnage, quinquagénaire déjà grison, était venu s’installer près du vieux collège du Plessis et se mêler, malgré son âge, aux studieux auditeurs qui suivaient les cours de l’École. Affable, disert, persuasif, d’abord facile et séducteur, plein d’amour pour la jeunesse, le nouveau venu n’avait