Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et partie. D’un tel choc jaillissaient parfois d’excessives critiques ou des éloges immérités, souvent aussi des idées originales présentées avec l’ardeur de la vingtième année. Groupés ensuite autour de maîtres illustres, professeurs de faculté, MM. Burnouf, Dulong, Villemain, Saint-Ange, l’abbé Mablini, les jeunes arbitres jugés à leur tour, entendaient à la fois confirmer ou réformer leurs arrêts. Des hommes distingués bien plus que des gens de métier, voilà ce que M. de Fontanes demandait alors à l’Ecole Normale.

En attendant la construction prescrite par décret, sur la rive gauche de la Seine, entre les ponts d’Iéna et de la Concorde, de vastes bâtiments entourés de jardins, où l’Université prendrait place entre les Archives Impériales et l’Ecole des Beaux-Arts, avec le palais de son Grand-Maître, les appartements de ses Emérites, ses salles de distributions et son Ecole Normale, — l’Ecole occupait, depuis décembre 1810, un réduit fort modeste dans les combles de l’ancien collège Louis-le-Grand. Entré le plus jeune de la seconde promotion, Augustin Thierry comptait parmi ses camarades Guignault, Loyson, Patin, Pouillet et Péclet. Comme anciens il trouvait installés déjà Victor Cousin, Maignien, Paulin, Pierrot-Desseilligny ; enfin l’année 1812 devait lui envoyer comme nouveaux Casimir Bonjour, Paul Dubois, Théodore Jouffroy et Trognon. Plus tard, Augustin Thierry trouvait un plaisir singulier à se rappeler cette âpre et solitaire existence. Les lourdes bâtisses, annexes du lycée, la vieille horloge au timbre criard, les murailles humides couvertes de mille graffiti latins lui revenaient à la mémoire et ces souvenirs charmaient ses causeries intimes. Epoque heureuse pour lui où, ignorant la douleur et ses étreintes, il goûtait la joie de vivre et regardait insouciant vers l’avenir !

Les premiers jours furent rudes pour le nouveau venu. Il trouvait à l’Ecole plusieurs condisciples qui, sortis des lycées de Paris, avaient une instruction plus solide que la sienne Lui qui venait de ce pauvre collège de Blois, il se sentait inférieur à ces brillants rivaux. Il commença donc par se recueillir, jusqu’au jour où une pièce de vers latins signée de son nom attira les regards de la communauté savante. Il s’agissait de traduire en hexamètres la fameuse description de la famine qui se trouve dans la Jérusalem Délivrée. Tout ce qui pouvait charmer un universitaire de 1812 se trouvait réuni dans la