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Deux ans auparavant, les décrets du 17 mars 1808, organisant l’Université, avaient ressuscité l’École Normale, cette œuvre mort-née de la Convention. Pour en assurer le recrutement, les inspecteurs généraux « devaient choisir chaque année dans les lycées et collèges, d’après des examens, un nombre déterminé d’élèves, âgés de dix-sept ans au moins, parmi ceux dont les progrès et la bonne conduite auraient été les plus constants et qui annonceraient le plus d’aptitude à l’administration ou à l’enseignement. » Les élus devaient être entretenus à Paris aux frais de l’Université et astreints à une vie commune.

Obligés, sous peine d’exclusion, d’obtenir le grade de licencié au terme de leurs études, ils étaient ensuite répartis, suivant les besoins, dans les divers collèges de l’Empire.

Le « conseiller ordinaire » s’enquit donc auprès du principal, Giraudeau-Delanoue, de ses meilleurs sujets et celui-ci, tout naturellement, désigna la perle, le phénix de ses élèves. Augustin Thierry, présenté, sut plaire à l’esprit bienveillant et distingué qu’était Ambroise Rendu. Le consentement paternel aisément obtenu, il reçut sur le champ son dignus intrare. Le nouvel admis atteignait à peine sa seizième année[1].

L’École Normale, sous l’Empereur et Roi, ne ressemblait que de fort loin à la savante pépinière que nous avons connue depuis. Napoléon, qui la voulait florissante, mais de tous points soumise, lui avait donné, par une heureuse inconséquence, la plus grande liberté intellectuelle avec la discipline matérielle la plus étroite et la plus jalouse. On eût dit d’un cloitre laïque, mais d’un cloître singulièrement libéral dans l’organisation des études. Là, rien qui rappelât le collège et ses procédés pédantesques : pas de devoir à remettre à heure fixe, pas de matière dictée à l’avance, pas d’entraves apportées à l’imagination ou à la verve. S’ils n’étaient point encore professeurs, du moins les jeunes gens avaient-ils cessé d’être écoliers. Chacun avait pouvoir de faire selon ses facultés, son inspiration, son talent. Plusieurs fois la semaine, les élèves se réunissaient en conférences sous la présidence d’un des leurs que désignait l’âge ou le mérite. Chacun y apportait un travail, œuvre toute personnelle, le lisait, le soumettait à la discussion publique. La conférence jugeait, approuvait ou blâmait, — tour à tour juge

  1. Timbré du sceau du Grand-Maître, l’arrêté de nomination est du 1er octobre 1811.