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conservé de génération en génération, et sur les marges duquel se lisent, depuis 1623, la date de naissance et de mort de tous les aînés du nom.

Dans cette longue énumération de Pierre, de Jean, de Simon, de Jacques, dont quelques-uns figurent au XVIIe siècle sur la liste des quarteniers de la « très illustre et très noble cité royale d’Orléans, » pas un seul Augustin. Après 1720, le nom de Simon Thierry, grand-père de Jacques, qui avait eu le tort d’agioter sur « les mères, les filles, les petites-filles » et autres mirifiques inventions de M. Law, disparait du rôle des notables bourgeois. Ruinée par l’imprudence de son chef, la famille subit alors une éclipse complète, touche à la gêne et presque à l’indigence[1].

En 1791, on trouve Jacques Thierry, « musicien gagiste de la cathédrale de Blois, » ainsi qu’il se qualifie soi-même, dans un mémoire présenté le 24 janvier au Directoire départemental, pour demander la fixation de son traitement. Après la cessation du culte et la fermeture des églises, il obtint un modeste emploi dans les bureaux du district ; et lorsque ceux-ci eurent été supprimés par la Constitution du 5 fructidor an III, il fut recueilli par l’administration du Département, devenue en 1800 les bureaux de la préfecture.

Né à Orléans, le 17 mai 1763, destiné d’abord à l’état ecclésiastique, la Révolution le faisait renoncer à l’espoir d’obtenir le sacerdoce. Fixé à Blois, il avait alors épousé une jeune fille distinguée d’esprit et de cœur, Catherine Leroux. Une intelligence supérieure, une âme honnête et droite, une solide instruction mettaient M. Thierry bien au-dessus de l’humble office qu’il occupait. Catholique convaincu dans un temps de persécution, jamais il n’avait hésité à remplir un devoir que lui imposaient ses croyances. Deux fois sa maison avait servi de refuge à des prêtres poursuivis, — et deux fois, lui-même, dénoncé et condamné, avait pu se cacher et s’enfuir. De bonne heure, auprès des siens, Augustin Thierry put apprendre le culte du travail et la sainteté de la résignation.

L’enfant qui venait au monde était le premier né de l’obscur expéditionnaire, et c’est par égard pour le citoyen Augustin Gaudichau-Delaistre, membre du Conseil général de la

  1. D’après les fragments de Souvenirs inédits d’Amédée Thierry, en ma possession.