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souvent l’occasion, d’admirer sa droiture de caractère, ses jugements éclairés, ainsi que sa haute valeur morale et professionnelle.

La première partie des présents Souvenirs est un aperçu des hommes et des choses du Céleste-Empire, de 1878 à 1880 ; la seconde partie est l’historique de mes interventions personnelles, dans le cadre général des conflits militaires et diplomatiques survenus entre la France et la Chine, au sujet de notre occupation du Tonkin, et des circonstances qui les ont provoquées.


I. — HOMMES ET CHOSES DU CÉLESTE-EMPIRE DE 1878 A 1880

Le 19 mai 1878, j’avais été nommé, à ma grande joie, au commandement de la canonnière Lynx, que je devais conduire, de Cherbourg où elle entrait en armement, jusqu’en Chine, pour y entreprendre une campagne d’essai, aller et retour, de ce nouveau type de bâtiment de stations lointaines : j’étais ainsi placé, dans la division navale de l’Extrême-Orient, sous les ordres du contre-amiral Ch. Duperré.

La traversée sur un navire peu rapide, de faible tonnage, fut nécessairement longue, mais sans autres incidents de navigation qu’une lutte assez dure contre la mousson de Nord-Est, en remontant la côte de Chine jusqu’au Peï-ho, où je devais hiverner. Je pus gagner ce port et m’y installer avant l’apparition des glaces.

J’y trouvai trois canonnières, anglaise, allemande et américaine, déjà amarrées chacune devant le Consulat de sa nationalité, pour en assurer la garde. Je pris des dispositions analogues devant le Consulat de France. Elles consistaient à préserver le navire de la neige et du froid très rigoureux atteignant souvent — 20° centigrades, en le recouvrant et l’enveloppant d’une toiture et d’une muraille improvisées qui permettaient d’y maintenir un chauffage intérieur permanent. Quant à l’équipage, on l’entretenait dans un parfait état de santé physique et morale, par un vigoureux régime sportif en plein air, de marches et d’exercices militaires, agrémenté de patinages volontaires sur la glace du fleuve.

Toutefois, malgré l’appareil guerrier de ce groupe de canonnières isolé pendant l’hivernage de tout renfort extérieur, le prestige des grandes Puissances dont les pavillons flottaient à