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direction est livrée au hasard ; et bien que le hasard soit parfois considéré par les hommes politiques comme un précieux auxiliaire, il y a quelque imprudence à lui abandonner toute la conduite des affaires, il est impossible que ces raisons ne finissent pas par toucher M. Briand. Son absence nous épargnerait, sans doute, quelques interpellations inutiles et des joutes oratoires qui peuvent être ajournées sans dommage pour la France. Mais, supposons qu’il arrive un incident grave, intérieur ou extérieur, qu’il faille prendre, d’urgence, des mesures décisives, que la responsabilité générale du Gouvernement se trouve, je ne dis pas seulement mise en cause par telle ou telle fraction du Parlement, mais évoquée devant l’opinion publique, que se passera-t-il ? Je ne parle même pas des pêcheurs en eau trouble qui, faute d’un Président du Conseil responsable, chercheront à découvrir le Président de la République ; je me demande qui se chargera d’éclairer et de rassurer le pays ; je me demande qui pourra se saisir de la barre, pour quinze jours ou trois semaines, jusqu’au retour de M. Briand. Sans doute, on lui câblera, et il aura la ressource d’envoyer, à son tour, ses instructions par télégramme. Mais, avec la variété, la complication et la mobilité des affaires à résoudre, ces communications, si rapides qu’elles puissent être, ne sont pas de nature à maintenir le contact entre un Président du Conseil résidant à Washington et les Chambres françaises délibérant à Paris. Ni l’espace, ni le temps ne sont, pour les hommes politiques, les fantômes qu’ils sont pour Minkowski ; et un Gouvernement n’a pas besoin de savoir raisonner sur l’intervalle einsteinien avec une aussi brillante ingéniosité que M. Alfred Capus ou M. Charles Nordmann, pour connaître le prix du temps et les risques de l’espace.


RAYMOND POINCARE.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.