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France la catastrophe ou le salut, eussent lieu à la Chambre des députés, pendant que le Président du Conseil siégerait à Washington ? Et serait-il plus sage de les ajourner, c’est-à-dire de nous mettre dans l’impossibilité certaine de voter le budget en temps utile ? De ces deux inconvénients, je ne sais quel serait le moins fâcheux, mais ils seraient assurément très sérieux l’un et l’autre, et le Gouvernement a le devoir de tout faire pour éviter le second aussi bien que le premier.

Vainement dirait-on que c’est au ministre des Finances qu’il appartient de suivre des débats financiers. Un ministre des Finances, quel qu’il soit, quelles que soient son énergie et sa compétence, est condamné à l’impuissance, lorsqu’il ne peut s’étayer, à tout instant, sur l’autorité de son Président du Conseil. Par définition même, le ministre des Finances est, sinon l’adversaire, du moins le contradicteur, et sinon le contradicteur, du moins le contrôleur, de tous ses collègues. Il ne se passe pas de jour qu’il ne soit en opposition avec eux. Ils soutiennent contre lui les intérêts et les demandes de leurs administrations ; ils réclament des crédits ; il exige ou doit exiger des simplifications et des économies. Quelle force a-t-il, si le Président du Conseil n’intervient pas pour l’appuyer ou, tout au moins, pour servir d’arbitre ?

Sans doute, il est d’usage que, lorsque le Président du Conseil s’absente, l’intérim soit fait par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, et l’honorable M. Bonnevay est un très galant homme, en même temps qu’un orateur de talent. Mais il suffit qu’il soit un intérimaire et un suppléant, pour qu’il n’ait, ni devant les Chambres, ni même dans le Conseil des ministres, le prestige de celui qu’il remplace. Il ne s’est jamais, du reste, consacré à l’étude des questions financières ; il serait mal préparé à seconder M. Doumer dans les débats qui vont s’ouvrir. Un Président du Conseil, au contraire, alors même qu’il n’a pas de compétence spéciale, est à même d’intervenir de haut, dans toutes les questions qui touchent à l’intérêt général ; et il ne peut se décharger de ce rôle indispensable.

Depuis quelques années, les chefs de Gouvernements ne paraissent pas s’être toujours personnellement occupés des problèmes économiques, financiers et budgétaires, avec tout le soin qu’ils exigent. Absorbés par la politique extérieure, ils se sont reposés sur leurs ministres des Finances et sont restés sur la rive, pendant que leurs malheureux surintendants fendaient péniblement les flots orageux. Tantôt volontaire, tantôt forcée, cette indifférence n’a jamais été sans