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églises. Le goût de l’apparat a toujours été le défaut de ces hommes qui vivent si simplement et qui ne possèdent rien. Mais ce n’est pas nous qui leur ferons un grief d’avoir trop bien logé leurs livres. Il y avait dans cette bibliothèque des tableaux de Poussin et des tableaux de Le Brun, dont l’un représentait un de ses fondateurs, le surintendant Foucquet, à côté de la Justice. Bien entendu, le tableau avait été peint avant qu’elle eût mis la main au collet de ce célèbre concussionnaire. Mais les Pères n’étaient pas ingrats, et si le Roi visita leur Bibliothèque, — ce qu’il fit sans doute, — il put l’y voir et y entendre une Renommée qui, du haut des airs, au milieu d’un groupe de Génies, proclamait la munificence de l’illustre Foucquet.

J’aurais souhaité qu’on y vît aussi le portrait d’un de leurs premiers bibliothécaires, le P. Jean Guignard, dont la destinée fut tragique. Lors de l’attentat de Chatel, on trouva dans sa chambre des libelles du temps de la Ligue contre Henri IV, qu’un édit royal avait ordonné de brûler, et quelques dissertations scabreuses sur le régicide. Le P. Guignard, qui devait aimer les éditions rares, n’avait pu se résoudre à les livrer aux flammes, et le Parlement se fit un plaisir de l’y condamner. Il devait être mené en place de Grève, pendu et étranglé à une potence, puis réduit en cendres. Mais, avant, il ferait amende honorable et, devant la porte de Notre Dame, à genoux, il avouerait « qu’il avait écrit que le feu Roi avait été justement tué par Jacques Clément et que, si le Roi actuellement régnant ne mourait à la guerre, il fallait le faire mourir, dont il se repentait et demandait pardon à Dieu, au Roi et à la patrie. » En chemise et la corde au cou, il refusa de prononcer ces mots. On le menaça de le brûler à petit feu ; on le menaça de l’écarteler : il refusa toujours, disant que c’était contre sa conscience. La scène, rapportée dans le procès-verbal que nous cite le P. Fouqueray, a une grandeur impressionnante. Du haut de l’échelle, quand le peuple eut chanté le Salve Regina, il dit que lui et ses confrères avaient fait tout ce qui leur avait été possible pour la conservation de la Religion et pour l’instruction de la jeunesse et il exhorta le peuple à prier pour la paix et l’union du Royaume. Mais de la foule des voix montèrent qui lui demandaient pourquoi il ne parlait point de prier pour le Roi. Il répondit que ce n’était point défendu et qu’il l’avait toujours fait, lui, depuis la réduction de la ville. Puis il s’aban-