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Clermont décidait des sorties et des congés ; c’était lui qui admettait les élèves et lui seul qui avait qualité pour les exclure. L’administration économique était sous sa direction ; et quand il voulait élever un mur ou percer une porte, il n’avait pas à en référer au général ni au provincial. Une hiérarchie bien comprise, ce sont des libertés qui se commandent.

Les professeurs de Clermont ou de Louis-le-Grand devaient constituer une élite. La tradition voulait qu’ils suivissent leurs élèves. Ils commençaient par la sixième et les menaient jusqu’en rhétorique. Le système vaut ce que vaut le professeur. En tout cas il exige qu’il se renouvelle continuellement et surtout qu’il ne se spécialise pas. « C’était l’époque où l’on évitait encore de se spécialiser trop tôt. Bougeaut était physicien et poète, théologien, moraliste et historien : Brumoy était mathématicien et helléniste ; Souriet était géologue et théologien, philosophe et poète ; Pardies, astronome, mathématicien, philosophe ; Buffier passait avec une aisance égale de la géométrie à l’histoire ou à la géographie. Même variété de savoir chez Tournemine, Rapin, la Rue, de la Sante. On se croirait encore en compagnie de ces admirables esprits de la Renaissance italienne, avides de tout explorer et de tout connaître et qui furent des cerveaux complets. » Mais arrivé en rhétorique, en philosophie ou en théologie quand le professeur y avait supérieurement réussi, on l’y maintenait. À côté des professeurs, professeurs eux-mêmes, professeurs en congé, mais résidant au collège, les scriptores librorum, les écrivains, vaquaient librement à leurs recherches. Cette institution, qui datait du XVIIe siècle, était admirable. Les Pères n’avaient pas trop de maîtres pour leurs classes surpeuplées ; ils n’en avaient pas toujours assez. Mais ils tenaient à réserver dans leur ruche des cellules où quelques-uns d’entre eux auraient le loisir de se cultiver, de donner toute leur mesure et, en travaillant pour eux-mêmes, de travailler pour le profit et l’honneur de leur Société.

Ces professeurs avaient à leur disposition une des plus riches bibliothèques de l’Europe. En 1718, elle comptait quarante mille volumes. Au fond de l’ancienne Cour de Langres, ses deux ailes dominaient le jardin des Pères. Ils l’avaient ornée de colonnes et de boiseries, décorée et peinte avec le même luxe, la même somptuosité un peu théâtrale que leurs chapelles et leurs