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habitants. Dans le grand hôpital où l’on peut soigner 3 070 malades, il y a 3 015 employés : un employé presque par malade !


* * *

Visite à une fabrique de bière. Je recueille ces aperçus pleins de saveur sur les rapports des patrons et des ouvriers dans un régime socialiste :

— Sous la monarchie, l’Autriche n’était pas socialiste. En vérité, c’est une chose stupéfiante de voir comme il a fallu peu de temps à quelques meneurs pour gagner les masses à leurs théories. Ceux qui se sont emparés du pouvoir ont dit au peuple ; « Autrichiens, à présent, vous êtes libres ! » C’est la plus grande sottise et le mensonge le plus éhonté. Jamais il n’y a eu moins de liberté dans ce pays. Le socialisme bride chacun. En vertu d’une loi de mars 1919, chaque industriel qui occupe au moins, vingt travailleurs, doit constituer un Conseil d’ouvriers et d’employés. Ce Conseil ne traite pas seulement des questions de salaires et de salubrité : il a encore le droit de se faire représenter par deux de ses membres dans les conseils d’administration. Il peut examiner le bilan. Actuellement, il prétend exiger que nul employé, nul ouvrier, ne soit engagé sans son autorisation.

« Quant aux ouvriers, ils sont dans l’étroite dépendance de leurs syndicats. Au mois d’avril dernier, le Conseil des ouvriers me demande une augmentation de salaire. Je télégraphie à la maison-mère pour savoir si je puis l’accorder. La réponse ne me parvient qu’au bout de deux jours. Elle est favorable. Je pensais que les ouvriers allaient exulter, car ils répétaient qu’ils n’avaient plus une couronne en poche, que c’était un crime de les faire attendre. Trois jours passent. Aucun ouvrier ne vient toucher l’augmentation si impatiemment réclamée. J’avise l’un d’eux, intelligent et de bon sens. Je le questionne. Il me répond : « Le syndicat a changé d’avis. Il nous défend de passer à la caisse. » A noter que nos socialistes ne sont pas révolutionnaires. De caractère indolent, l’Autrichien ignore la violence qui arme une classe contre une autre. Actuellement, d’ailleurs, les ouvriers sont satisfaits. Ils ont la vie large et facile, et en vérité ils n’ont pas matière à nous jalouser, nous autres bourgeois. Comme chez vous, ce sont eux qui achètent les poulets, eux qui se payent une promenade en voiture, eux qui