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Au quartier des Juifs Galiciens. — C’est très loin, vers la banlieue. Une zone pelée où quelques chétifs acacias s’accordent à la tristesse du paysage. Des gîtes en tôle ondulée. Aucun parfum de fleurs ou de verdure. Rien que l’acre odeur d’herbes qu’on brûle dans un fossé. Coiffé d’un chapeau de paille crevé, un petit vieux, au bout d’une longue corde, paît une chèvre rousse. La bête tire sur sa laisse. Pour la retenir, le petit vieux n’a pas trop de toutes ses forces. Plus loin, encore des chèvres que gardent des enfants. Le lait de vache est devenu rarissime. Avant la guerre, Vienne absorbait, chaque jour, huit cent mille litres de lait. Cet hiver, elle en a reçu à peine trente mille. Nombre de Viennois consomment du lait condensé ; mais une boîte se vend 150 couronnes. Une chèvre coûte peu à nourrir : il suffit d’avoir le temps de la mener paître. Affaire aux vieux, aux tout petits. Dans les faubourgs, de véritables troupeaux de chèvres broutent le long des haies ou des talus : nouvel aspect de la Vienne d’après-guerre.

On a installé les Juifs Galiciens dans les baraquements d’un ancien camp de prisonniers de guerre. Des fils barbelés courent autour du terrain. Les fenêtres de la baraque qui servait de prison sont munies de barreaux de fer.

Occupées à des besognes ménagères, des femmes vont et viennent, pieds nus. Trois petits en robe de percale bleue, bras dessus, bras dessous, et serrés l’un contre l’autre, ainsi que grains dans une grenade, nous considèrent immobiles.

Aux fenêtres pendent des couvertures trouées qu’on a mises à sécher ; mais certaines ont des rideaux. Devant les baraquements, dans les jardinets aux minces allées en croix, des légumes poussent, des poules picorent, des oies se dandinent.

Ces familles de Juifs ne sont pas toutes dans le besoin. J’aperçois des chambres confortablement meublées : lits, commode et fauteuils. Beaucoup gagnent suffisamment leur vie ; ils ont trouvé des places chez des coreligionnaires, dans des maisons de commerce, dans des banques. Ils se sont faits camelots. D’autres, c’est le plus grand nombre, spéculent sur le change, sur les denrées. Installés dans les cafés, autour d’une petite table, ils passent leur journée à acheter, à vendre, à