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pouvez deviner ce que rapportent aujourd’hui nos obligations, nos actions. Vous le savez d’ailleurs : il n’est guère de Français qui ne possède des Chemins de fer du Sud de l’Autriche. Des milliers de rentiers autrichiens qui vivaient largement avec vingt-cinq à trente mille couronnes de rente, ont vu leurs revenus tomber à sept ou huit mille couronnes. A peine de quoi se nourrir quelques semaines.

« Je vous conduirais volontiers chez quelques-uns d’entre eux. A quoi bon ? Vous n’y verriez rien de frappant. Les intérieurs demeurent décents, la mise de la maîtresse de maison reste convenable ; mais, ouvrez les armoires, elles sont vides : le linge, les bijoux, l’argenterie ont été vendus. Aux murs, il n’y a plus un tableau ; sur les meubles, plus un objet d’art.

« Les familles les plus éprouvées sont celles des anciens officiers. A ceux-ci le gouvernement fait bien une retraite : environ dix mille couronnes pour un général. Ce n’est rien… Vous me direz : « Ces officiers peuvent chercher une situation. » Ils l’ont fait, ils le font encore ; mais les situations sont rares ; quand il s’en présente une, ce n’est pas à eux qu’on donne la préférence. On n’est pas bien disposé à leur égard. On les rend responsables de la défaite…

A l’appui des détails que me donne la princesse de Metternich, d’autres me reviennent à l’esprit, que je tiens de Mme Lefèvre-Pontalis, femme du ministre de France, de Mme Hallier, femme du général qui dirige notre mission militaire. Car, il faut qu’on le sache : après l’armistice, la France, blessée, meurtrie et ayant elle-même à réparer ses ruines, a eu cette générosité de venir en aide à ses ennemis de la veille. L’hiver dernier, Mme Lefèvre-Pontalis, présidente d’une œuvre de secours, a remis de la percale à trois femmes de feld-maréchaux qui venaient demander de quoi se faire des chemises. Mme Hallier m’a parlé d’un ancien colonel presque aveugle qui a accepté, avec reconnaissance, des boites de lait condensé, d’un général qui, pour gagner quelques centaines de couronnes, s’est fait porteur de charbon. Dans la rue, j’ai été frappée de l’aspect de décrépitude des vieillards d’une soixantaine d’années : petits rentiers, petits retraités qui, depuis des années, ne peuvent s’alimenter suffisamment…

Les employés de la municipalité viennoise : contrôleurs et conducteurs de tramways, balayeurs, cantonniers, etc. sont