Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Vienne a dansé, glissé, « fox-trotté, » cet hiver, avec une espèce de furie, avec une sorte de déchaînement. Les réceptions, dans l’aristocratie, ont été aussi nombreuses, aussi belles qu’autrefois. Les femmes faisaient assaut de toilettes. Certaines étaient parées de robes qui n’avaient pas coûté moins de 80 000 couronnes.

Cependant, dans la noblesse, on se défend de paraître prendre aucun plaisir. On veut faire croire qu’il n’y a que les Schieber[1]pour s’amuser. Si l’on cause avec un aristocrate, il se lamente parce qu’il a dû renoncer à son abonnement à l’Opéra, supprimer une partie de ses domestiques, faute d’en trouver et faute surtout de pouvoir les payer.

Il gémit : « Ici, la vie était si bonne, si douce, si facile ! Les théâtres, les concerts étaient à bon marché. On faisait du sport et il n’en coûtait presque rien. Toutes les jeunes filles, même celles de la petite bourgeoisie, montaient à cheval. On mangeait bien et finement. On était trop heureux ! »

Voilà le grand mot lâché. Le malheur, pour l’Autrichien, est d’avoir été trop longtemps trop heureux. Actuellement, il répète : « Pauvre Autriche ! » mais il ne veut pas renoncer à ses aises.


Le ministre d’une Puissance étrangère et neutre, personnalité bien connue du monde viennois, et fervent ami de la France, me donne son avis sur la situation de l’Autriche :

— Oh ! moi, je suis très pessimiste. Le moyen de ne pas l’être ! D’après le ministre des Finances, le déficit, pour les six mois qui viennent de s’écouler, est de cinquante milliards de couronnes. On en prévoit un égal, pour le second semestre. Afin de combler une partie du trou, le gouvernement va procéder à une nouvelle émission de 45 milliards de billets. A quoi cela le mènera-t-il ? L’Autriche est dans la situation d’un moribond qu’on ne soutient qu’avec de l’éther. Si on lui supprime son médicament, il meurt.

« Il y a ici deux grands partis politiques : les socialistes

  1. Les nouveaux riches. Littéralement, ceux qui poussent la marchandise pour en faire monter le prix.