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s’en allant, avaient les larmes aux yeux ; ils pensaient sans doute à la destinée de l’Empereur, lequel, après avoir été le premier de l’Europe, était venu mourir sur un rocher isolé au milieu des mers, et dont le corps, sous peu de jours, allait être recouvert de terre.

Dès que le gouverneur, l’amiral et leur suite furent partis, on dressa une table dans le parloir, un drap la couvrit et le corps de l’Empereur fut placé dessus. Il était peut-être midi lorsque l’on procéda à l’autopsie. Plusieurs médecins anglais étaient présents. Ce fut M. Antommarchi qui mit le tablier et tint le scalpel. L’ouverture faite, on examina avec attention toutes les parties de l’abdomen. On remarqua, entre autres choses, que le foie était adhérent à l’estomac et que celui-ci était percé de manière à y passer le doigt. Autour de cette ouverture existaient beaucoup de petites cavités qu’on aurait dit avoir été faites par des grains de petit plomb dont aurait été chargé un pistolet.

L’exploration terminée, M. Antommarchi retira le cœur et l’estomac, qu’il mit dans deux vases d’argent remplis d’esprit de vin, et ensuite recousit le corps. Le docteur, avant de faire l’autopsie, avait mesuré le corps, l’avait inspecté en son entier et en avait dressé le procès-verbal ou signalement. M. Vignaly avait rempli les fonctions de secrétaire.

Le drap sur lequel venait d’être faite l’opération, étant teint de sang dans beaucoup d’endroits, fut coupasse par la plupart des assistants et chacun en eut un morceau ; les Anglais en prirent la plus grande partie.

Avant de coudre le corps, Antommarchi, saisissant le moment où des yeux anglais n’étaient pas fixés sur le cadavre, avait extrait d’une côte deux petits morceaux qu’il avait donnés à M. Vignaly et à Coursot.

La suture terminée, nous habillâmes l’Empereur comme il l’avait été dans ses campagnes, c’est-à-dire de l’uniforme des chasseurs à cheval de la garde impériale ; il fut botté, éperonné, le chapeau sur la tête et l’épée au côté. Aucune pièce de l’habillement ne fut oubliée. Craignant que le gouverneur ne voulût s’emparer de l’épée de l’Empereur, on y substitua celle du Grand-Maréchal.

La chambre à coucher, tendue de noir par les soins de M. de Montholon, fut transformée en chapelle ardente ; l’autel