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Par un codicille particulier, l’Empereur donnait à chacun des exécuteurs testamentaires, sur l’argent qu’il avait à Longwood, 50 000 francs, et ordonnait qu’il fût remis à chacun de ses serviteurs une somme plus ou moins forte selon leurs gages et le temps de leur service, pour subvenir aux frais de leur retour en Europe. Par un autre codicille, il léguait à ses exécuteurs testamentaires son argent, ses bijoux, argenterie, porcelaine, meubles, livres, armes, et tout ce qui lui appartenait à Sainte-Hélène. Par le même acte, il désirait que ses cendres reposassent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français qu’il avait tant aimé. L’Empereur avait donné des instructions pour ses funérailles et avait désigné l’endroit où il voulait être inhumé, si le gouvernement anglais ne voulait pas permettre que son corps fût transporté en Europe.

Dès que l’Empereur avait eu cessé de vivre, M. Antommarchi lui avait fermé les yeux et peu après lui avait mis un mouchoir sous le menton, noué sur la tête, pour que la bouche, qui était quelque peu ouverte, fût fermée. Une petite contraction qui s’était manifestée a la lèvre supérieure resta, laissant voir deux ou trois dents de devant. La tête de l’Empereur avait quelque chose des belles médailles antiques. Le buste était beau, les mains, qui s’étaient un peu amaigries, étaient du plus parfait modèle ; elles ressemblaient à de belles mains de femme.

Aussitôt que les exécuteurs testamentaires eurent pris connaissance des testament et codicilles, ils rentrèrent dans le salon. Le lustre fut allumé. Tous les Français se rangèrent à droite et à gauche du lit et MM. Schort et Mitchell, accompagnés de l’officier d’ordonnance, le capitaine Crokat, qui avait remplacé depuis quelques semaines le capitaine Nicholls, entrèrent pour constater la mort ; ils examinèrent, ils palpèrent le corps de l’Empereur ; après quoi, ces messieurs se retirèrent.

Au mouvement succéda le plus grand calme, le calme de la mort. Deux ou trois serviteurs restèrent pour veiller. Toutes les autres personnes s’en allèrent chacune chez elle. C’était la première nuit que nous allions passer sans l’Empereur. Marchand et moi, nous nous étions fatigués ; nous avions pleine liberté de prendre du repos, et malgré cela, le sommeil n’eut pas le pouvoir de nous engourdir. Nous étions enfoncés l’un et l’autre dans les plus tristes et plus profondes réflexions. Cette liberté, que nous allions avoir, allait être pour nous, pauvres