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XIX. — LA MORT

Enfin, à six heures dix du soir, le 5 mai, une minute et demie après le coup de canon de retraite, l’Empereur expira. Chaque souffle, qui d’abord avait été régulièrement espacé, devint progressivement et successivement plus éloigné, et le dernier, plus lent que ceux qui l’avaient précédé, ne fut plus que l’expiration d’un soupir prolongé. En vain nous attendîmes une autre aspiration et une autre expiration… Hélas ! il ne restait plus de l’Empereur que la dépouille mortelle !… À ce moment suprême, tous les yeux se remplirent de larmes. Quel triste et sublime spectacle que la mort d’un grand homme et d’un homme taillé comme Napoléon ! Si ses ennemis eussent été là présents, leurs yeux aussi se fussent mouillés et ils eussent pleuré sur ce corps privé de vie.

Dès que tous les assistants furent un peu remis de leur douloureuse émotion, le Grand-Maréchal se leva de son fauteuil et, le premier, baisa la main de l’Empereur et tous sans exception suivirent son exemple. Alors, les sanglots éclatèrent et les larmes coulèrent avec plus d’abondance.

Pendant ses derniers jours, l’Empereur était resté constamment dans la même position : couché sur le dos, la tête droite sur l’oreiller, le bras droit allongé sur le lit, le bras gauche placé le plus souvent comme le droit, avec cette différence qu’il mettait parfois sa main sur sa poitrine et que parfois cette main tenait le cordon qui était attaché aux pommes des deux montants du dossier du lit. Sur ce cordon était son mouchoir. Il avait les cuisses écartées et les talons rapprochés. L’Empereur est mort sans la moindre convulsion sensible et sans la moindre crispation ; il s’est éteint comme s’éteint la lumière d’une lampe.

Immédiatement après le baisement de la main de l’Empereur, le Grand-Maréchal, M. de Montholon, Marchand et l’abbé Vignaly passèrent dans le parloir, où Marchand remit à M. de Montholon le paquet contenant le testament et les codicilles. Les cachets ayant été reconnus intacts, l’abbé Vignaly rentra seul dans le salon et les trois autres procédèrent à l’ouverture des différents plis. MM. de Montholon, Bertrand, Marchand s’y virent nommés exécuteurs testamentaires. M. de Montholon était nommé le premier.