Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

craignait que l’exécution de ses dernières volontés n’éprouvât quelque obstacle, soit de la part du gouvernement français, soit de la part de tout autre. Le Grand-Maréchal eut les armes en dépôt et M. de Montholon les papiers, l’argenterie, la porcelaine et, je crois, tout l’argent que l’Empereur avait à Longwood.

Vers le milieu de la dernière quinzaine, on aperçut le soir vers l’Ouest une petite comète presque imperceptible ; elle avait, disait-on, une très longue chevelure (pour moi, je n’ai rien vu de cette comète et de sa chevelure) ; elle était visible vers les sept ou huit heures et se montrait à l’horizon. Quand l’Empereur apprit cette apparition, il dit : « Elle vient marquer le terme de ma carrière. » Cette comète, après avoir paru plusieurs soirées de suite, ne fut plus visible. Quelques jours après, il y eut un coup de mer épouvantable qui dura deux ou trois jours, renversant les digues et enlevant quelques personnes qui étaient sur le quai. Plusieurs bâtiments perdirent leurs ancres et furent contraints de prendre le large pour éviter le danger de venir se briser contre les rochers. Des officiers de marine qui étaient à terre, ne pouvant mettre un canot à la mer pour rejoindre leurs équipages, furent obligés d’attendre pour se rembarquer que le coup de vent eût cessé. Il semblait que le ciel et la terre voulussent marquer par quelque chose d’extraordinaire le terme d’une grande vie.

Cinq ou six jours avant sa mort, l’Empereur, qui alors était à demeure dans le salon, fit appeler l’abbé Vignaly et eut avec lui un entretien. C’était le soir, à ce que je puis me rappeler. Dire ce qui s’est passé dans cet entretien, c’est ce que personne n’a su. Cependant on rapporta que l’intention de l’Empereur était que l’on fit connaître dans le public qu’il avait été administré ou qu’il avait fait ses dévotions. M. Vignaly a emporté la vérité dans la tombe.

Pendant les dernières et bien tristes soirées, presque tous les Français étaient réunis autour du lit de l’Empereur et chacun d’eux ambitionnait un regard de son malheureux maître. L’Empereur, apercevant Pierron, qui était à portée de sa vue, lui dit, en l’appelant par son nom : « Tu diras à tous mes domestiques que je les ai rendus riches. » Ces paroles produisirent un tel effet sur les assistants que les larmes se montrèrent dans les yeux de tous, et chacun sembla lui dire : « Sire ! gardez vos richesses ; nos souhaits sont que vous reveniez