Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fréquemment appeler Antommarchi. Quand un de nous allait chez lui pour lui dire que Sa Majesté le demandait, le plus souvent le docteur était hors de Longwood, ou chez Mme Bertrand. Lorsqu’on rendait compte qu’Antommarchi était sorti, l’Empereur manifestait son mécontentement. Dès que le docteur était informé qu’on avait été chez lui, il accourait et l’Empereur ne manquait pas de lui donner un savon. Très souvent, le soir, il allait chez Mme Bertrand, et c’était justement le moment où l’Empereur l’envoyait chercher. Une fois, l’Empereur, fort contrarié de l’avoir longtemps attendu, lui dit avec humeur : « Vous venez chez moi comme si vous faisiez une visite à trente sous. Ici, vous êtes à mon service et à mes ordres. Si Larrey était à Sainte-Hélène, il ne quitterait pas le chevet de mon lit : il coucherait là, sur le tapis. Quand je vous envoie chercher, c’est que j’ai besoin de vous et vous devez vous rendre immédiatement auprès de moi. C’est chez vous que vous devez être et non ailleurs, etc. » Antommarchi, après cette mercuriale, aurait dû se tenir pour averti ; mais, soit ennui de rester dans sa chambre, soit toute autre cause, il n’en continuait pas moins de s’absenter, et il en fut ainsi pendant presque tout le temps que dura la maladie de l’Empereur ; aussi cette conduite, si peu raisonnable, excitait-elle de plus en plus la mauvaise humeur de l’Empereur.


* * *

Depuis le premier vomissement, bon nombre de jours s’étaient écoulés sans que l’Empereur éprouvât aucun changement dans son état. Enfin quarante et quelques jours avant sa mort, se promenant péniblement dans son salon, il ressentit un frisson qui le parcourait dans tous les sens. Ne pouvant plus tenir sur ses pieds, il se mit au lit qu’on eut soin de bassiner ; on lui mit des serviettes chaudes aux pieds et sur le ventre, et peu à peu une légère fièvre s’empara de lui et se continua ainsi presque sans interruption jusqu’à la fin. Dans cet état de transpiration, il se faisait changer de gilet de flanelle, de chemise et de madras, toutes les fois qu’il se sentait en moiteur, ce qui arrivait cinq ou six fois le jour et autant la nuit.

Le gouverneur, ayant été informé que l’Empereur était malade, paraissait fort inquiet, rapporta-t-on ; il voulait qu’on laissât entrer chez le malade l’officier d’ordonnance ou un