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pas d’autres raisons que celles qu’il avait données la veille. Les jours suivants ressemblèrent aux deux précédents, avec cette différence que les vomissements devinrent plus fréquents. Chaque fois, on examinait le contenu du bassin et, comme précédemment, on n’y apercevait rien d’extraordinaire. Mais plus tard, on y remarqua quelques filaments de sang, dont chaque jour la quantité augmenta.

Un jour, Antommarchi fut appelé au moment du diner de l’Empereur. Je ne me rappelle plus s’il vint immédiatement, car parfois il allait se promener au camp. Peut-être, ce jour-là, y avait-il été. L’Empereur lui demanda si, dans les conversations qu’il avait avec les médecins militaires, il parlait de lui, Napoléon, de sa maladie et s’il se consultait avec eux ; que, de leurs discussions il pourrait peut-être résulter quelques éclaircissements sur les causes de sa maladie et découvrir les moyens de combattre celle-ci. Antommarchi, au lieu d’accepter comme une leçon ce que lui disait l’Empereur, répondit je ne me rappelle plus quoi, en se mettant à rire, ce qui pouvait se traduire par ceci : « Ils n’ont rien à m’apprendre ; mes connaissances sont supérieures aux leurs. » L’Empereur fut tellement outré du ris et des paroles du docteur, qu’il lui dit les choses les plus dures qu’une bouche puisse exprimer. Il ajouta : « Les médecins du camp ayant beaucoup voyagé, doivent être des hommes pleins d’expérience, » et que c’était être par trop présomptueux que de dédaigner leur savoir. Cette scène fut la plus forte de celles que j’eusse vues, et où Antommarchi fut le plus malmené par l’Empereur.

Lorsque le docteur avait mis les vésicatoires aux bras de l’Empereur, il avait oublié ou n’avait pas eu le soin de raser la place où il devait les poser ; aussi, toutes les fois qu’il fallait les panser, l’Empereur se plaignait-il du mal qu’on lui faisait. Effectivement les poils qui s’attachaient à l’emplâtre lui causaient de ces petites souffrances qui l’ennuyaient et l’irritaient, ce que le docteur aurait pu si facilement lui épargner.

Quand le docteur était demandé le matin, l’Empereur lui présentait son poignet pour se faire tâter le pouls. Souvent Antommarchi avait les mains froides, et l’Empereur, sentant des doigts glacés, retirait aussitôt sa main en disant : « Vous me gelez. Chauffez-vous donc les mains avant de me toucher. »

Pendant la première phase de sa maladie, l’Empereur faisait