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qu’en serviettes chaudes qu’il se faisait appliquer sur le côté, des bains qu’il prenait fréquemment, et la diète qu’il observait de temps à autre. Longtemps avant, on avait cru que sa maladie n’était qu’imaginaire et que ce qu’il disait était calculé pour en imposer au gouverneur, afin de faire revenir, le gouvernement anglais à des sentiments plus humains à son égard et déterminer celui-ci à le laisser aller en Amérique. Ce qui avait fait croire encore, que sa maladie n’avait rien de réel, c’est que, dans des moments, il paraissait très souffrant, et que dans d’autres il était extrêmement gai. En général, l’Empereur, depuis qu’il était à Sainte-Hélène, avait eu, une vie assez peu réglée ; mais elle le fut bien moins encore, dès le moment que ses malaises devinrent plus sensibles, plus positifs et plus fréquents. Il devint aussi inégal dans son humeur que dans sa manière de vivre, que dans son travail ; tantôt gai, tantôt réfléchi, absorbé ; un jour, il était constamment hors de la maison, un autre jour renfermé dans son intérieur. Une ou deux semaines, il s’adonnait au travail ; après quoi il restait des journées entières sur son canapé, un livre à la main, et cherchant à dormir. Parfois il s’habillait de très bonne heure, parfois il restait en robe de chambre. Souvent de la nuit il faisait le jour ou du jour la nuit. En un mot, il agissait comme quelqu’un qui, étant dominé par l’ennui, met en usage tout moyen pour abréger le temps.

Il était rare qu’il laissât dormir tranquillement une huit entière le valet de chambre de service ; c’était un bain qu’il fallait lui préparer, du thé qu’il fallait lui faire, des serviettes chaudes à lui donner, des livres, des cartes qu’il fallait aller lui chercher. Parfois M. de Montholon, lui aussi, était dérangé la nuit ; c’était pour converser, c’était pour écrire sous dictée. Depuis le départ de la comtesse, M. de Montholon était devenu l’homme nécessaire à l’Empereur. Constamment, il était à ses ordres, entièrement à ses volontés la nuit comme le jour. Le Grand-Maréchal avait bien aussi son tour de dérangement, mais ce n’était guère que le jour et quelquefois le soir. Logeant à une bonne portée de fusil de l’habitation de l’Empereur, et, l’espace étant obstrué, la nuit, par les factionnaires, il n’était pas sous la main.

Bien souvent, j’ai vu le Grand-Maréchal rester des heures, entières dans la chambre de l’Empereur, les volets fermés, c’est-à-dire dans la plus grande obscurité, devant le lit ou le canapé,