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Hamar Greenwood, à leurs efforts pour mettre fin au terrorisme. .Mais, dans chacun de leurs mandements, ils condamnent en même temps, et plus sévèrement encore, les excès des forces de la Couronne ; ils les dénoncent comme plus graves, plus coupables que ceux des révolutionnaires, parce qu’émanant de ceux qui prétendent et devraient être les représentants de l’ordre et de la justice. Ainsi juge, avec ses chefs spirituels, le gros de l’opinion. Si, pour les militants de l’armée républicaine, les crimes qui leur sont reprochés ne sont autre chose que des actes de guerre, actes légitimes dans la lutte d’affranchissement que soutient l’Irlande contre le conquérant étranger, l’opinion moyenne les réprouve comme des actes coupables commis dans une cause juste ; elle envisage, par exemple, les assassinats d’officiers du « dimanche rouge » de la même façon que l’opinion moyenne en Angleterre envisage le massacre de Croke Park de ce même « dimanche rouge. »

Elle les réprouve, mais en même temps elle est convaincue que c’est le gouvernement britannique qui est l’agresseur et qui, par la coercition, a déchainé l’ouragan criminel. Elle les réprouve, mais elle tend à penser que le régime dit des « représailles, » s’il ne les justifie pas, les excuse. C’est pourquoi les crimes du Sinn Fein ne l’ont pas détachée du Sinn Fein. C’est ce qui fait que la grande masse a pu rester en sympathie plus ou moins ouverte avec lui, et qu’elle lui apporte en fait l’appui d’une connivence au moins tacite. Personne ne lèvera le doigt pour assister matériellement ou moralement les agents de la Couronne dans leur œuvre de répression ; mais à un républicain on the run personne ne refusera asile pour la nuit, quelque risque que comporte cet acte de complicité. Aussi a-t-on pu dire que quatre-vingts pour cent de l’Irlande nationale est activement ou passivement pour le Sinn Fein ; ce qui reste obéit à la crainte ou à la terreur. Au dire du général C. B. Thomson, sans le loyal soutien de ces quatre-vingts pour cent de la population, l’armée républicaine n’aurait pas pu tenir deux mois. Inutile de chercher ailleurs la cause profonde de l’impuissance où est l’Angleterre à briser le carbonarisme irlandais : sans l’appui de l’opinion, elle ne pouvait rien, et sa faute initiale et décisive a été de ne pas faire d’abord tout le possible pour mettre la masse de son côté, et pour se concilier les forces élémentaires de la société dans sa lutte contre l’extrémisme.