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VI

Ainsi, du début de 1920 au milieu de 1921, c’est la guerre sans merci, l’horreur sans nom dans un crescendo de férocité. C’est un cercle vicieux, une surenchère acharnée d’attentats, de vengeances et de provocations. Le crime engendre le crime. Chaque excès d’un côté en appelle un pareil de l’autre. Comme le « Château » déclare meurtres les soi-disant exécutions auxquelles se livre le Sinn Fein, ainsi le Sinn Fein dénomme assassinats les pendaisons auxquelles procède le « Château » sur arrêts des cours martiales : l’Angleterre, dit-il, « exécute ses prisonniers de guerre. » Aux représailles, il répond par des contre-représailles : enlèvements, meurtres de soldats ou d’officiers, incendies de châteaux, etc. Lorsqu’en février cinq Sinn Feiners sont mis à mort à Dublin pour coup de main sur la police, cinq soldats anglais sans armes sont tués le lendemain en riposte dans les rues de Cork ; puis viennent de la part des forces régulières les représailles non officielles : il n’y a pas de raison pour que cela finisse. En janvier, le Sinn Fein déclare que, pour une maison brûlée par ordre, il y aura une maison de loyaliste brûlée ; le « Château » riposte en faisant savoir que trois seraient incendiées pour une : c’est la course au crime. La guerre, en se prolongeant, s’exaspère de part et d’autre[1].

Et de part et d’autre règne la Terreur, dont les victimes sont souvent les innocents. Le revolver et la bombe sont tout-puissants. D’où viennent les coups ? On ne sait pas toujours, on vit dans le noir, et dans le noir chacun peut être frappé, de droite ou de gauche, par vengeance, erreur ou accident. Nul n’est maître de sa vie ni de ses biens. On se couche le soir avec la pensée que peut-être la maison sera « raidée » cette nuit, et qu’on sera réveillé en sursaut par les coups frappés à la porte, — ouvrez vite, sinon elle sera enfoncée, — et le raid de nuit, toujours accompagné de brutalités, peut signifier l’incendie ou la mort. Durant la nuit, c’est bien souvent le bruit des coups de

  1. Du 1er janvier 1921 au 30 juin, il y aurait eu dans l’armée républicaine et la population civile 641 tués et 606 blessés, et dans les forces de la Couronne 350 tués et 511 blessés. Les autorités du Sinn Fein ont dénombré, au cours des douze mois de 1920, à la charge des agents du « Château, » 48 474 raids sur maisons privées, 98 morts de civils sans armes et 115 « assassinats de prisonniers. »