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cheveux des Irlandaises tièdes ou suspectes, ainsi font-ils à leur tour aux jeunes et jolies sinn-feinistes. Ils répandent les lettres de menaces et les avis comminatoires, signés Black and Tan, ou d’un crâne avec deux tibias croisés. Ils menacent les femmes pour atteindre les maris. En marche, ils tirent sur les fenêtres des maisons, ils tirent aussi sur les gens qui se sauvent à leur approche. Ils maltraitent à plaisir ceux chez qui, la nuit, ils perquisitionnent : portes ou fenêtres enfoncées, les gens enfermés pendant la fouille, les enfants parfois séparés de leur mère et laissés seuls en présence des policiers, les choses mises au pillage, les brimades, les interrogatoires sous le canon du revolver, les cris de put’em up ! Coups et violences sont monnaie courante. Ils « cognent » à tort et à travers : c’est le régime du knout, déclare un correspondant anglais. Il leur arrive de jeter les gens à l’eau. Ceux qu’ils arrêtent sont « passés à tabac » et brutalisés de mille façons. A Cork, en décembre, on a vu des Auxiliaires chasser devant eux la foule à coups de fouet. A Kinvara, comté de Galway, en février, ils mettent par terre à nu sept hommes, les rouent de coups, leur font chanter God save the King avant de les faire fuir, non sans leur tirer dessus pendant leur course. Quand ils arrivent dans une région nouvelle et jusqu’alors paisible, on peut être sûr qu’après quelque temps d’excitations il y aura des troubles : c’est ce qui s’est passé à Waterford dans l’été de 1920, puis à Ardree et à Drogheda après l’installation du camp de Gormanstown. Ainsi, sous couleur de combattre le crime et de tenir les criminels en respect, ils ne font que révolter la population traitée tout entière en ennemie et alla turca. Les officiers, débordés, ferment les yeux le plus souvent. C’est l’indiscipline et la violence déchaînées contre l’insurrection.

À ce régime les hommes se démoralisent vite, surtout que dès le début et pendant des mois, sûrs de l’impunité, ils se sentent les maîtres, et leurs maîtres ; l’ivresse fréquente accroît leur malfaisance ; ils perdent tout respect de la propriété privée comme de la vie humaine. Vols et pillages sont constants et courants. Ils entrent, le revolver à la main, dans les magasins et raflent valeurs et marchandises : nombre de commerçants ont été ainsi ruinés. Tout en fouillant les gens, au cours des coups de filet, dans la rue, il arrive qu’ils les dépouillent. Les perquisitions offrent naturellement des tentations et des occasions : sous prétexte de rechercher des armes ou des gens en