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longtemps de lui interdire de souffler dans certaines directions. Voilà comment il fut bon pour elle, et pour le monde, qu’il y eût quelques terres basses au bord de la mer septentrionale où la pensée pût se dérouler selon sa loi intérieure, sans contrainte et sans péril. Des tracasseries, sans doute, mais pas de persécutions : juste ce qu’il fallait de fureurs pour exciter, pour obliger d’aller jusqu’au bout de l’idée ; pas assez pour la faire rentrer, la supprimer.

D’avoir donné Descartes à la Hollande, c’est nous qui lui redevons. Mais on ne peut s’empêcher de songer avec un peu de mélancolie, que trop souvent les hommes qui portèrent au dehors le génie et la culture de la France, furent des hommes qui n’y pouvaient plus vivre. Notre vie nationale s’appauvrissait de notre expansion à l’étranger. Notre patrie a-t-elle donc un charme trop puissant pour qu’on ne puisse s’en éloigner que jeté dehors ? Et faut-il que notre civilisation ne soit portée dans le monde que par des persécutés ? Des calvinistes au xvie et au XVIIe siècle, au xviiie des émigrés, et, les uns après les autres, les vaincus de toutes les Églises et de tous les partis, proscrits qui proscrivaient hier ou proscriront demain.

Souhaitons qu’à l’avenir, ce ne soit plus que par une surabondance de vitalité que la France donne ses fils et son âme aux nations de la terre, et que l’intense activité des échanges intellectuels n’ait, de notre côté, pour cause que la fermentation de toutes les forces internes de l’âme nationale.

Qu’il n’y ait plus un Français qui soit obligé de penser que « les lieux où souffle l’esprit » sont ailleurs qu’en France.

Alors, ce sera toute joie et tout gain, quand nous verrons dans quelque continent lointain les traces du passage du génie français.

Gustave Lanson.