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ce qui en a été écrit. C’est bien le même prodigieux érudit qui, traitant du tissage d’après les auteurs anciens, ne s’avisa pas qu’il pouvait voir à Leyde des tisserands et des métiers. Un siècle après que Ponocrates conduisait Gargantua chez les artisans ! Que le progrès, en toute chose, est lent !

Ni le ciel, ni la terre, ni les gens ne retenaient Saumaise en Hollande : qu’est-ce donc qui l’y fixa et l’emporta sur « la douceur de la patrie ? »

Deux choses : sa « pension payée à point nommé, tous les trois mois un quartier, » régularité inconnue en France.

Et puis, et surtout, le bien que chercha, que trouva Descartes en Hollande : la liberté. J’y reviendrai plus loin.


III


M. Gustave Cohen se défend du soupçon d’avoir eu la prétention de nous parler de la philosophie cartésienne. Il n’a voulu être que le continuateur de Baillet, et d’Adam et Tannery, — les auteurs de cette admirable édition des Œuvres complètes et de la biographie si fouillée qui la termine. Ce qui est merveilleux, ce n’est pas tant qu’il se soit si bien servi de ses récents devanciers qui lui avaient dérobé à l’avance de si belles découvertes : c’est qu’il ait trouvé à leur ajouter tant de particularités intéressantes, à commencer par le contrat d’édition du Discours de la Méthode. En suivant Descartes dans ses résidences successives, dans tous les lieux où il a seulement passé, en s’efforçant de retrouver toutes les personnes de toute condition et de toute nation qu’il a fréquentées ou rencontrées, en rapprochant de ses écrits et de ses lettres tous les documents de toute nature où se trouvent son nom ou sa signature, ce n’est pas seulement la vie extérieure du philosophe que M. Gustave Cohen a reconstituée : des faits extérieurs, sa fine induction, son amour et son sens de la vie, son tempérament d’artiste moderne l’ont conduit à l’homme, à sa vie intérieure. Dans l’élection d’un logis, il approche Descartes, comme Balzac exprimait Balthazar Claës dans la description d’une vieille maison flamande.

Cette figure de Descartes, jusqu’ici si fermée, si mystérieuse, si indéchiffrable, ne nous devient certes pas transparente et limpide ; mais, tout de même, M. Cohen l’a traversée de