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François Paradis avait passé deux fois. Maria, silencieuse, l’aimait. Et dès qu’elle vit tomber la neige, elle eut peur pour lui, qui était au Nord, dans les bois sans fin. Elle ne songeait qu’à son retour. Aussi, la veille de Noël, comme le père n’avait pu battre la neige nouvelle, le long du chemin qui mène au village, et qu’on ne pouvait donc espérer d’aller à la messe de minuit, elle promit de dire mille ave, pour que François fût protégé. Mille ! Est-ce qu’elle peut résister à mille ave, la mère qui règne là-haut ? Tout le jour, en faisant le ménage, en habillant les petits, en lavant la vaisselle, « Maria ne cessa pas d’élever à chaque instant un peu plus haut vers le ciel le monument de ses ave. » Parfois, elle s’embarrassait dans ses comptes : bah ! on ferait bonne mesure ! Le soir, elle avait encore bien des chapelets à dire. Pendant que la mère cousait des lacets à une vieille paire de mocassins, le père Chapdelaine chanta d’abord des cantiques de Noël, — ceux qu’on tenait du pays de France, — pour amuser, bercer et édifier les enfants ; puis il chanta, sur leur demande, des complaintes de chez nous aussi : « Trois grois navires sont ancrés, — chargés d’avoine, chargés de blé… » et cette autre : « A la claire fontaine — m’en allant promener, — j’ai trouvé l’eau si belle — que je m’y suis baigné… — Il y a longtemps que je t’aime, — jamais je ne t’oublierai. » En écoutant le refrain, la diseuse de chapelet avait des distractions, et ses doigts, de longs moments, s’arrêtaient sur les grains.

« Maria regardait par la fenêtre les champs blancs que cerclait le bois solennel ; la ferveur religieuse, la montée de son amour adolescent, le son remuant des voix familières se fondaient dans son cœur en une seule émotion. En vérité, le monde était tout plein d’amour ce soir-là, d’amour profane et d’amour sacré, également simples et forts, envisagés tous deux comme des choses naturelles et nécessaires ; ils étaient tout mêlés l’un à l’autre, de sorte que les prières qui appelaient la bienveillance de la divinité sur des êtres chers n’étaient guère que des moyens de manifester l’amour humain, et que les naïves complaintes amoureuses étaient chantées avec la voix grave et solennelle et l’air d’extase des invocations surhumaines.

« .. Je voudrais que la rose
Fût encore au rosier
Et que le rosier même