Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place, par où les dialogues sont prolongés. J’en veux donner deux exemples.

Vers le premier tiers du volume, il est raconté de quelle manière Eutrope Gagnon, l’unique voisin, vint veiller chez Samuel Chapdelaine, un soir de la fin de l’hiver, et comment on causa du temps qu’il faisait, et du fourrage qui allait manquer pour les animaux. Maria était demeurée silencieuse, comme de coutume. Eutrope Gagnon ne lui déplaisait pas, mais elle aimait d’amour François Paradis, qui était dans le bois, avec les sauvages, et que le printemps ramènerait.

« Quand les sujets ordinaires de conversation furent épuisés, l’on joua aux cartes : au quarante-sept et au bœuf ; puis, Eutrope regarda sa grosse montre d’argent, et vit qu’il était temps de partir. Le fanal allumé, les adieux faits, il s’arrêta un instant sur le seuil, pour sonder la nuit du regard.

« — Il mouille ! fit-il.

« Ses hôtes vinrent jusqu’à la porte et regardèrent à leur tour ; la pluie commençait, une pluie de printemps aux larges gouttes pesantes, sous laquelle la neige commençait à s’ameublir et à fondre.

. « — Le « sudet » a pris, prononça le père Chapdelaine. On peut dire que l’hiver est quasiment fini.

« Chacun exprima à sa manière son soulagement et son plaisir ; mais ce fut Maria qui resta le plus longtemps sur le seuil, écoulant le crépitement doux de la pluie, guettant la glissade indistincte du ciel sombre au-dessus de la masse plus sombre des bois, aspirant le vent tiède qui venait du Sud.

« — Le printemps n’est pas loin… Le printemps n’est pas loin.

« Elle sentait que, depuis le commencement du monde, il n’y avait jamais eu de printemps comme ce printemps-là. »

Quelle grandeur exprimée par les plus simples moyens, ou plus justement quel don d’apercevoir la grandeur des choses les plus simples, d’un geste et d’un moment ! L’homme qui a écrit ces lignes-là était marqué du signe divin. D’autres chapitres, presque tous les chapitres de ce poème du Canada, finissent ainsi, en beauté, sur des mots qu’on n’oublie plus.

Lorsque le printemps fut venu, l’été vint si vite après et dura lui-même si peu de temps, qu’on peut dire qu’il n’y eut guère de belle saison, pour la terre ni pour Maria Chapdelaine.