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L’AUTEUR DE MARIA CHAPDELAINE
LOUIS HÉMON

J’ai sous les yeux une photographie de Louis Hémon. Elle ne date pas des derniers mois de la vie du romancier. Il « s’était fait tirer, » je le sais, dans la ferme canadienne, parmi les héros de son livre, Samuel Chapdelaine, la mère Chapdelaine, Maria et les autres. Je n’ai de lui qu’une image plus ancienne, et qui représente un jeune homme d’environ vingt-cinq ans. Il avait le visage allongé et plein, tout rasé, les lèvres assez fortes à la courbure de l’arc et fines tout au bout, un très beau front, des sourcils presque droits, — signe de volonté, — et des yeux d’un gris bleu, où transparaissait une âme grave, songeuse, maîtresse de son enveloppe, à ce point qu’on le pouvait prendre et qu’on le prit souvent pour un Anglais flegmatique.

C’était un Breton, né à Brest, de parents d’ancienne lignée bretonne. Son grand-père maternel avait été représentant du peuple sous la république de 1848 ; son oncle paternel fut, pendant trente-quatre ans et jusqu’à l’année de la guerre, député, puis sénateur du Finistère. L’un et l’autre, hommes cultivés et d’une sincérité grande, ils ont aimé, ils ont souhaité de faire descendre, du monde des rêves en terre de France, une république où aucune sorte d’injustice ne serait jamais commise. Les songes ne sont pas toujours les mêmes, mais toute la Bretagne est songeuse : elle sera reconnaissable aussi chez Louis Hémon, la race imaginative et tendre, secrète et subtile, qui ne s’exprime que par élans, et souffre de plus de maux qu’elle n’en a en partage. Venu tout enfant à Paris, où son père, professeur de