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dans l’esprit des nations de l’Entente qu’oublieux de tout ce qu’elles ont souffert depuis le mois d’août 1914, il croit devoir exprimer sa sympathie et son amitié pour le peuple allemand et ne s’en prendre qu’au gouvernement impérial. Et plus tard encore, lorsque les soldats américains et les nôtres sont définitivement devenus compagnons d’armes, il tient à distinguer, par une appellation spéciale, les États-Unis des nations auprès desquelles ils combattent, et, tandis que celles-ci se considèrent entre elles comme alliées, il prend soin de préciser que l’Amérique sera simplement associée.

Les négociations de paix commencent, et la faute est commise de les faire conduire par les chefs mêmes des gouvernements. Le Président Wilson est, à la fois, chef de gouvernement et chef d’État. Il vient à Paris illuminé d’un prestige extraordinaire ; il y est accueilli comme le libérateur du genre humain. C’est un prophète ; c’est Moïse qui, du haut du Sinaï, va dicter des lois, non plus à un peuple, mais à l’univers. Malheureusement, comme l’expliquait ces jours-ci, dans France et Monde, un écrivain distingué qui vient de séjourner longtemps en Amérique, M. Gaston Riou, M. Wilson, en organisant la délégation de la paix, blesse non seulement ses adversaires, mais les meilleures têtes de son parti. Il s’entoure de créatures, ne consulte personne, ne ménage aucun amour-propre, n’admet aucun partage de pouvoir. Il perd de vue l’Amérique, oublie et mécontente le Sénat, et plus il se croit tout-puissant, plus la puissance lui échappe. Il impose à la Conférence sa conception personnelle de la Société des Nations ; d’accord avec M. Lloyd George, il cherche à réduire le plus possible notre occupation de la Rhénanie ; il nous refuse nos frontières de 1814 ; il s’oppose à ce que les frais de la guerre soient entièrement supportés par l’Allemagne ; il ne veut pas entendre parler de solidarité des dettes alliées ; mais il nous promet, en revanche, avec la conviction d’être suivi par le Sénat américain, l’assistance militaire des États-Unis en cas d’agression de l’Allemagne. Il rentre chez lui ; il trouve partout une hostilité grandissante ; il essaye de lutter ; il est terrassé par la maladie et obligé de disparaître de la scène politique. La campagne présidentielle s’engage ; elle tourne tout entière autour du traité et de la Société des nations : les républicains s’en prennent naturellement à tout ce qu’a fait M. Wilson, et lorsque M. Harding arrive à la Maison Blanche, l’Europe se demande : « Que va-t-il advenir du traité ? Et de la Société des Nations ? Et des engagements contractés, au nom de l’Amérique, par son ancien Président ? »