Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnaissance, de sympathie, de fraternité entre les peuples, d’alliances à perpétuité. Non, Chamfort ne nous a pas encore appris que ni sur le damier européen, ni, hélas ! sur le damier du Nouveau Monde, on ne joue aux échecs avec un bon cœur. Aujourd’hui, tout étonnés, nous nous regardons les uns les autres, et nous nous disons : « Comment ! cette Amérique qui est venue prendre part à la guerre avec toute la ferveur d’un peuple croisé, qui a fait sortir de terre une armée innombrable, et qui a jeté sur le plateau le poids de son glaive pour incliner enfin vers le bon droit la balance de la justice, comment ! c’est elle qui maintenant se replie sur elle-même, s’isole, se détourne de l’Europe ! C’est elle qui prend dans le traité de Versailles tout ce qui l’intéresse et qui en écarte systématiquement tout le reste ! Elle qui garde le grain et nous laisse l’ivraie ! Elle qui, après qu’un de ses Présidents nous a promis l’assistance des États-Unis en cas d’agression future de l’Allemagne, s’abstient de reconnaître les nouvelles frontières du Reich ! » Eh ! oui, c’est elle, et il n’y a de surprenant, en tout cela, que notre surprise. Quand on rêve tout éveillé, on s’expose à recevoir de la réalité des remontrances un peu dures. L’honorable sénateur de Pensylvanie, M. Knox, ancien secrétaire d’État, communique-t-il à notre ambassadeur, M. Jusserand, une lettre émouvante de deux anciens officiers américains, M. James Comb et M. David Shields, nous allons répétant une phrase où ces deux vaillants militaires expriment leurs sentiments personnels pour la France : « Ne vous désolez pas, ô France, de ce que l’Amérique n’ait pas signé le pacte de la Société des Nations. Sous le gazon émaillé des fleurs de l’arbousier traînant et du coquelicot de Bunnker’s Hill, de Valley Forge, des Flandres et de Picardie, est enfoui un pacte qui n’a nul besoin d’être ratifié par les Parlements. Oui, nos fils sont venus en France ; ils y reviendront toujours, quand la France les appellera pour une cause juste. » Puis, lorsque l’Amérique substitue un traité révisé et corrigé au traité que ses anciens représentants nous avaient amenés à signer, nous cherchons, d’une main fiévreuse, les vieux pactes d’amour cachés dans les champs que n’ont pas seulement rougis, hélas ! les coquelicots et les arbouses, mais des mares de sang français, et nous avons peur de ne tien trouver.

Tâchons, s’il est possible, de juger les choses avec plus de sang-froid. L’Amérique ne s’enferme point dans un splendide isolement ; elle ne change pas de conduite ; elle demeure fidèle à ses amitiés et plus fidèle encore à ses idées ; elle ne dédaigne pas les affaires d’Europe ; mais elle les mesure à l’échelle du Nouveau Monde, et c’est assez