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sont la glorification de deux créatures de chair, l’homme et la femme, Adam et Marie.

Il est impossible de dire à quel moment précis Dante acheva son œuvre, quel intervalle s’écoula entre le dernier rêve et la vérité éternelle. Les dernières allusions historiques qu’on rencontre dans le Paradis sont la mort de Philippe-le-Bel (novembre 1314) et l’élection de Jean XXII (1316). Pourtant, si Boccace a dit vrai (et il n’y a nulle raison de douter de son témoignage), les derniers vers ne furent écrits que dans les derniers moments de l’existence de Dante. Le poème et le poète finirent presque au même jour.

Une lueur assez singulière est venue, dans ces derniers temps, jeter un jour inattendu sur la fin de la vie de Dante : c’est un procès d’envoûtement et de magie où son nom se trouve mêlé, sans doute calomnieusement, par un prêtre qui a toutes les apparences d’un fourbe. On n’a pas encore éclairci les dessous de cette ténébreuse affaire. Les curieux trouveront les faits dans une étude d’un jeune savant français, tué pendant la guerre, Robert-André Michel, sur le Procès des Visconti.

Cela se passait en 1320. Au mois d’août de l’année suivante, Ravenne se trouva menacée, pour une querelle insignifiante, d’une guerre avec Venise. Dante fut envoyé auprès du Grand Conseil pour apaiser l’affaire. Il revint par les marécages et les lagunes de la côte, dans la saison où ces parages exaspérés par les pluies de l’été dégagent leurs fièvres pestilentielles. Il revit au passage cette abbaye de Pomposa, cadavre aujourd’hui abandonné, où le moine Guy d’Arezzo avait inventé la gamme et créé, lui aussi, un nouveau monde de poésie. Il revit cette Pinède, cette forêt déchirée, à travers les troncs de laquelle on aperçoit la mer comme la corde d’une grande lyre, et qui lui était apparue comme un lambeau du Paradis perdu. Et puis il s’alita. Ravenne garde sa cendre. C’est là que Dante repose dans un cercle de solitude et de mélancolie, parmi les enchantements funèbres et les sépulcres des Césars, dans ces plaines vides et muettes, où s’élevèrent les derniers et les plus beaux de ses rêves. C’est le monument qu’il lui fallait : un désert autour d’un tombeau.

Louis Gillet.