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années d’exil, le scandale et le noir chagrin qu’inspire le spectacle du désordre universel, le Purgatoire, traversé d’un grand souffle millénaire et d’une tempête d’espérance, exprime le transport du poète dans l’attente du sauveur, au moment où il crut rentrer en vainqueur à Florence et put se flatter d’y revenir en écrasant ses adversaires. Le poème devient un grand drame en trois actes, de caractères bien différents, dont chacun représente un âge, un épisode distinct de l’existence du poète. Au lieu d’un théorème abstrait, théologique, d’une construction analogue à la Somme de saint Thomas, on obtient une sorte de journal ou de biographie, écrite à des moments divers, répondant à des attitudes diverses d’une même pensée, agitée par tous les orages et exprimant dans toute sa suite et ses contradictions tragiques l’histoire morale du poète.

Si cette vue est aussi exacte qu’elle paraît séduisante, il en résulterait, sur la composition et le sens même de la Divine Comédie, des conséquences toutes nouvelles. Il est bien entendu que dans ces conditions le Purgatoire tout entier, y compris la vision finale, est nécessairement antérieur à la mort d’Henri VII (1313). La description de la Pinède qui se lit au XXVIIe chant, supposerait donc que Dante, dans le cours de sa vie errante, serait venu en Romagne une première fois avant de s’y fixer pour toujours en 1317. Cette conjecture assurément n’a rien d’invraisemblable. Elle pourrait se justifier par plus d’un vers de Dante. Elle expliquerait pourquoi le poète fit choix de ce séjour après l’écroulement de ses rêves, et serait revenu mourir dans ce grand mausolée de Ravenne, en pleurant le dernier Empereur parmi les ombres des derniers Césars.

Ce revenant qu’on voyait ainsi s’asseoir dans ce cimetière, le plus noble du monde après Rome, était lui aussi un vaincu, une grande épave de la vie. Une à une, il avait perdu toutes ses illusions : d’abord, son jeune amour, le sourire féminin de son adolescence ; puis, sa foi dans la grande lumière incorruptible de l’Église s’était flétrie ; enfin, l’arrivée d’un restaurateur du monde, le salut qu’il avait espéré, avec quelle ardeur ! d’un jeune prince victorieux qui remettrait sur pied la machine détraquée de l’univers, s’étaient trouvés encore des espérances mensongères ; toutes les grandes clartés de la terre s’étaient éteintes. L’une après l’autre, le poète avait perdu toutes ses raisons de vivre. Déçu maintenant, désabusé, sans foyer, sans patrie, il faisait subir à ses idées une transformation suprême ; son âme, fatiguée des luîtes et des querelles, se détourne de ce monde trop court et trop borné ; le poète, désormais à l’écart des luttes politiques, se réfugie