Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tableau d’histoire où l’époux de Théodora nous apparaît dans tout le faste des pompes de Byzance, peut-il se discerner dans ces vers :

Cesare fui e son Giustiniano

Et je me demande encore si certaines images de la dernière Cantica, la vision du fleuve de feu, ces ruissellements de topazes d’où jaillissent des étincelles, comme autant de lucioles qui retombent bientôt dans la nappe embrasée, si ces éblouissements d’émeraudes et de saphirs, si ces torrents de pierres précieuses qui illuminent le Paradis, ne tiennent pas quelque chose de ces prodigieuses mosaïques qui dorent ou azurent les absides de Ravenne, où toutes les figures revêtent l’éclat des gemmes et où la lumière, glissant sur les cubes d’émail inégaux, y répand ses vibrations et ses frémissements.

Avec moins de peine encore retrouverait-on en cent endroits le paysage et le passé de Ravenne : le tableau du delta du Pô, ou la vision solitaire

Di nostra Donna in su’l rivo adriano.

Dans ce poème qu’il faudrait lire comme un guide de voyage, dans cette Odyssée où Titube, de la Sicile au Frioul, de Gênes aux bouches du Quarnaro, est décrite tout entière, où chaque ville se dessine avec son site, son aspect, ses saints et sa légende, ses familles et son histoire, la Romagne, dit M. Ricci, est, après la Toscane, le pays qui occupe la première place. Mais entre les beautés qui égalent en mélancolie à la campagne de Rome la campagne de Ravenne, se trouve ce débris de forêt, chanté par les poètes, semblable sur ses dunes à une notre colonnade à demi écroulée, et qu’on appelle la Pinède. E.-M. de Vogué lui a consacré naguère ici même une page éloquente. Chateaubriand la peint au passage dans une image rapide : « L’antique forêt que je traversais était composée de pins esseulés ; ils ressemblaient à des mâts de galères engravées dans le sable. » C’est là que Dante a placé l’entrée du Paradis terrestre : c’est elle qu’il dépeint, « la divine, l’épaisse, la vivante forêt, qui tempérait aux yeux l’éclat naissant de l’aurore, et dont le sol de toutes parts exhalait ses parfums. Un souffle égal et d’une invariable douceur me pressait le front, comme la caresse d’un vent suave… Les oiseaux pleins de joie recevaient les jeunes haleines du jour entre les feuilles qui formaient la basse de leurs concerts : tel ce murmure qui se propage de branche en branche dans la Pinède sur la grève de Chiassi, lorsqu’Éole délie le tiède Sirocco. »

Cette page admirable, ce prélude pastoral et d’une musique