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au jeune prince de Conti : La Fontaine avait donné son nom, écrit la dédicace et une traduction du psaume Diligam te, Domine. Bien plus, deux ans après, sur le conseil d’on ne sait qui, il fit d’un récit de saint Jérôme, traduit par Arnauld d’Andilly, le pieux et détestable poème de la Captivité de Saint Malc. Il serait téméraire d’en conclure qu’il sentit alors une velléité, même fugitive, d’amender ses mœurs. La fastidieuse médiocrité de Saint-Malc montre quel ennui accablait La Fontaine tandis qu’il bâclait l’éloge de la chasteté, car de ces 550 vers on n’en peut guère sauver que quatre, mais il faut les sauver : le saint obligé de vivre auprès d’


Une dame encor jeune et sage en sa conduite,


supplie le Seigneur de le défendre contre la tentation :


Tu m’as donné pour aide au fort de la tourmente
Une compagne sainte, il est vrai, mais charmante ;
Son exemple est puissant, ses yeux le sont aussi.
De conduire les miens, Seigneur, prends le souci[1].


D’ailleurs il venait tout justement de publier la troisième partie de ses contes qui finit par le Petit Chien, et allait publier la quatrième qui commence par Comment l’esprit vient aux filles. Il tenait les jansénistes pour des personnages un peu tristes, « gens d’esprit et bons disputeurs. » N’avait-il pas eu un jour l’étrange pensée de dédier un de ses contes à Arnauld d’Andilly ? Et Boileau, dit-on, avait eu peine à lui faire entendre que le vieux solitaire ne lui en témoignerait aucune gratitude. Jamais lui qui tant rêvait, n’a rêvé de l’ « affreux vallon » de Port-Royal.

Il avait beaucoup raillé le clergé, les moines et les nonnes : ses contes les plus licencieux se passent au couvent. Il se moquait un peu de nous, quand il alléguait, pour son excuse, le dérèglement des religieux et des religieuses :


Si vous teniez toujours votre bréviaire,
Vous n’auriez rien à démêler ici[2].


En réalité, il ne faisait que suivre l’exemple de ses maîtres Boccace, Marot, Rabelais et tous les vieux conteurs ; il les suivait sans scrupule et sans remords.

  1. La captivité de Saint Malc, v. 205 et suivants.
  2. Le psautier, v. 19 et suivants.