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galanterie sans mesure, qui tenait une sorte de tripot dans la rue de l’Université. On ignore combien de temps il demeura chez elle, mais on sait qu’il laissa entre ses mains nombre de manuscrits, car ce fut elle qui édita les œuvres posthumes. On sait aussi par ses lettres qu’il ne refusait pas « les perdrix, le vin de Champagne, les poulardes avec une chambre chez le marquis de Sablé[1], » un des amants de Mme Ulrich.


III. — DANS LE PARC DE BOIS-LE-VICOMTE

La Fontaine trouva sur son chemin une seconde La Sablière. Françoise le Rogois de Bretonvilliers avait épousé le financier d’Hervart. Elle était d’une rare beauté. Le mutuel amour des deux époux émerveillait La Fontaine. « Comment, écrivait-il, M. d’Hervart cesserait-il d’aimer une femme souverainement jolie, complaisante, d’humeur égale, d’un esprit deux et qui l’aime de tout son cœur ?[2] » Mme d’Hervart entoura le vieux poète de soins et d’affection. Elle le chapitrait sans sévérité, car la société des Hervart n’était pas bégueule, et un des familiers de la maison, l’abbé Vergier, composait des contes auprès desquels ceux de La Fontaine peuvent passer pour édifiants. La morale que la jeune femme prêchait à son ami était donc indulgente. Elle eût seulement voulu mettre un peu de décence dans cette existence désordonnée, obliger La Fontaine à porter un habit moins troué, le décourager d’aller chez les « Jeannetons, » le retenir auprès d’elle à la campagne, dans son château de Bois-le-Vicomte. C’était peine perdue : notre homme aimait tendrement son amie, la payait en vers charmants de ses attentions et de ses conseils, mais il s’évadait, à la première occasion, pour retourner chez le grand prieur, chez Mme Ulrich, où ailleurs.

C’est sous les ombrages de Bois-le-Vicomte qu’il nous plaît de nous représenter La Fontaine septuagénaire, tel que nous le montre l’admirable portrait aujourd’hui conservé au musée de Versailles : dans un visage dont la sécheresse et les rides laissent voir le ravage des années et la fatigue de la vie, des yeux brillant d’une juvénile, d’une enfantine clarté, un long nez qui Haire toutes les voluptés, des lèvres fines et

  1. Lettre à Mme Ulrich, octobre 1688.
  2. Lettre à M. de Bonrepaus, 31 août 1687.