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dans la rue par des groupes d’extrémistes. Des évêques écrivaient : « Le pays a été vendu, » ou bien : « Nos leaders ont mené la cause nationale au désastre. » Pauvre John Redmond, mourant sans gloire ni récompense, après trente ans de loyaux services et de noble dévouement à sa patrie : renié par les hommes d’Etat anglais qui, après avoir usé de lui, ne se firent pas faute d’en abuser, et de l’abuser, il eut l’amère tristesse de se voir ensuite renié et honni par les siens. Sa vie finit dans le naufrage de ses espérances. Du moins est-ce le destin qui lui manqua, et non l’honneur : l’histoire lui rendra justice !


VIII

Et maintenant, Redmond mort, le parti légal et parlementaire écarté de la scène, voici donc, on décembre 1918, l’Extrémisme seul maître en Irlande, seul responsable de la cause et du renom d’Erin devant le monde. Qu’on fera-t-il ? C’est ce que nous verrons prochainement. Ce qu’on voit déjà, c’est qu’au moment où, sur le continent, vient de finir la Grande Guerre, la guerre va reprendre en Irlande contre l’Angleterre. Le drame est noué : il va, fatalement, évoluer, avant de trouver un dénouement.

Quelle « tragédie des erreurs » que cette histoire des origines du drame irlandais ! De part et d’autre, les événements dépassent et aveuglent les hommes. En refusant concession et conciliation aux modérés, en déniant à l’ile-sœur le home rule, la liberté qui, après tout, aurait été la justification de l’entrée en guerre de l’Irlande, en appelant l’Orangisme à primer et à brimer le nationalisme irlandais, l’Angleterre a sapé l’autorité des chefs modérés et fait le jeu de l’Extrémisme : elle récoltera par la suite ce qu’elle a semé. Elle a cru que la guerre la dispensait de tenir parole à l’Irlande et lui était une excuse pour en rester au statu quo, alors qu’au contraire éclatait aux yeux irlandais l’antinomie entre le gouvernement de l’Irlande, tel qu’il fonctionne depuis plus de cent ans, et les grands principes pour, lesquels se battent les Alliés. Dans le même temps où elle prêchait au monde l’affranchissement des petites nationalités, elle n’a su que traiter toujours l’Ile-sœur en sujette, sans lui accorder même un commencement de satisfaction dans l’ordre de l’autonomie : elle a ainsi contribué à jeter l’Irlande dans les voies de la violence et dans le rêve de l’indépendance.