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Edward Carson, le leader de l’Ulster, ainsi qu’un Ulstérien de marque, sir J.-H. Campbell, et avec eux sir F.-E. Smith, M. Bonar Law, M. Waller Long, sir John Gordon, ces hauts Tories qui ont joué la carte orangiste contre le nationalisme irlandais[1]. Voilà tous les puissants ennemis de l’Irlande au pouvoir et à l’honneur, voilà l’Orangisme et le Toryisme maîtres de la place. N’est-ce pas ainsi la cause irlandaise livrée aux anti-Irlandais, aux « rebelles » virtuels de 1913-1914, et n’est-ce pas le home rule abandonné pour jamais ? Voilà ce que se dit l’Irlande nationale.

Elle ressent profondément tous ces coups portés non seulement à sa fierté, mais à son bon droit et à sa bonne volonté. L’enthousiasme du début se refroidit. Elle est entrée en guerre pour la cause de la liberté : la liberté, on la lui dénie. Les beaux principes pour lesquels l’Angleterre a pris les armes, elle voit qu’ils ne sont pas faits pour elle. En se ballant pour les nationalités, elle croyait se battre pour la sienne propre, mettre le sceau à sa charte d’affranchissement et se faire enfin reconnaître en tant que nation : elle est loin de compte ! Alors, elle se détourne peu à peu de la guerre. Elle se relâche de son effort militaire ; le recrutement baisse, puis il s’arrêtera. L’anti-britannisme reparait et s’agite. Vis-à-vis de l’Angleterre, elle se lasse de faire toute seule tout le chemin de la conciliation. Elle a donné et n’a rien reçu. Dans la lutte pour le home rule, elle est vaincue, tandis que l’Orangisme triomphe. Elle se sent méconnue, dupée, trahie. — De ces déceptions, elle se prend à accuser ses leaders, les parlementaires, les constitutionalistes. Déjà avant la guerre, le parti parlementaire était critiqué en Irlande. On lui reprochait de s’être fait le serviteur du parti libéral anglais, au lieu de se tenir, entre les libéraux et les Tories, dans la position indépendante dont Parnell avait su tirer si bien profit. On lui reprochait d’avoir aliéné sa liberté par l’acceptation de l’indemnité parlementaire et de s’être laisse contaminer par les faveurs du pouvoir. Aux chefs, on reprochait particulièrement de ne savoir accepter ni blâme ni conseil. Maintenant, toutes ces critiques se font plus aiguës. Le vieux

  1. M. Asquith fit offrir à John Redmond un poste dans le ministère, mais non pas le seul poste que pouvait accepter le leader nationaliste, celui de Chief Secretary pour l’Irlande : Redmond refusa. — Sir E. Carson est aujourd’hui Lord Chief Justice d’Angleterre.