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une lamentable histoire : une politique négative, du wait and see, selon la formule chère à M. Asquith, puis de la défiance et de l’obstruction, des coups d’épingle et des coups de caveçon, sous le couvert de quoi les Orangistes et les Tories font leur jeu néfaste, avec ce résultat qu’on tue l’enthousiasme et la confiance, qu’on les remplace par de l’irritation, de la suspicion et du cynisme, qu’on laisse ainsi l’Irlande, de déception en déception, s’aliéner et se rebuter, qu’on mine peu à peu la position des leaders modérés et qu’on favorise les germes de rébellion.

Le home rule d’abord. Il était voté : coule que coûte, il fallait trouver moyen de l’appliquer. Il fallait au moins un commencement d’exécution. L’Angleterre fait la guerre au despotisme germanique pour la défense des droits des petites nations : son premier geste ne doit-il pas être d’assurer effectivement les droits de l’Irlande ? Peut-elle se battre pour la liberté en Europe en refusant cette liberté à l’Ile sœur ? Sir Edward Grey, le 3 août 1914, a juré au Parlement que l’Angleterre sera fidèle à ses engagements d’honneur envers ses amis. Et envers l’Irlande ? Si l’Angleterre avait mis tout de suite le home rule en application, il y aurait eu bien des chances pour que la minorité même des extrémistes acceptât de prendre sa place dans le régime nouveau. Au lieu de cela, le gouvernement britannique cède à la pression des Orangistes qui, avec les Tories, s’agitent plus que jamais contre le home rule : Carson l’emporte sur Redmond, l’Ulster sur l’Irlande. La loi du home rule est bien promulguée le 18 septembre 1914, — ce que lord Londonderry déclare « un scandale, » — mais l’application en est remise à la fin de la guerre, et M. Asquith s’engage à ce que l’Ulster ne soit pas soumis à contrainte dans le Bill d’amendement à intervenir : c’est un triomphe pour l’Orangisme, et pour les Irlandais nationalistes, c’ost le choc douloureux d’une injustice et d’une insulte, c’est l’ébranlement de la confiance dans la parole anglaise, et Panière, décourageante sensation qu’alors qu’on leur demande de se battre comme une nation libre, ils restent en fait un peuple de serfs et de suspects.

Suspects même quand il s’agit pour eux de prendre part à la guerre. Dès le début, Redmond a demandé et le premier ministre, M. Asquith, a solennellement promis deux choses : d’abord que les volontaires seraient reconnus, organisés, utilisés par le War Office, puis que les Irlandais combattants seraient