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est voté, mais non promulgué, que l’opposition Ulstérienne est puissante, que l’Irlande n’a encore obtenu de l’Angleterre qu’un papier, et un papier non signé : eh bien ! non, avec autant de courage que de sens politique, Redmond apporte gratuitement, gracieusement à l’Angleterre la sympathie et le concours de l’Irlande. Devant la menace de l’impérialisme teuton, il range sans hésiter son pays dans le camp du droit. En un instant, pour la défense de la civilisation contre la barbarie, il renverse toute la politique traditionnelle de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre. Ou plutôt il l’adapte : fort des engagements de l’Angleterre, comptant sur la liberté promise et prochaine, il veut que le premier acte de l’Irlande nouvelle, de l’Irlande libre, soit pour épouser la cause de la liberté du monde.

A la parole de Redmond répondit l’Irlande, ou du moins la grande majorité du pays, qui comprend et approuve son leader. L’antibritannisme est pour un temps comme submergé sous une vague d’enthousiasme ; l’émotion est pour ainsi dire partout, et l’élan pour les Alliés ; une fois de plus, dans un esprit d’union sacrée, l’Irlande nationale offre son bon vouloir à l’Ulster qui, une fois de plus, le repousse et reprend de plus belle la lutte contre le bill du home rule, contre ce « chiffon de papier, » selon le mot malheureux que dit alors un chef unioniste. — En même temps que la campagne pour le recrutement s’organise en Angleterre, elle s’organise en Irlande, à l’appel qu’adresse aux Irlandais le premier ministre, M. Asquith, pour « le don libre d’un peuple libre. » Redmond s’adonne et se dépense sans compter à celle propagande qui rencontre, il faut le savoir, certaines difficultés spéciales tenant aux circonstances et au milieu. D’abord, c’est la première fois dans l’histoire que l’Irlande est appelée à prendre les armes aux côtés de l’Angleterre, en alliée et non en ennemie. Puis il y a, dans la masse du peuple, un fond traditionnel de méfiance contre les promesses britanniques. Il y a, chez les paysans des campagnes et surtout du lointain Ouest, une apathie due à l’ignorance complète des choses du continent. Il y a cette sorte de répulsion, de mépris, que suscite en bien des classes l’engagement militaire, non par antimilitarisme, mais parce que l’Irlande n’a jamais connu d’uniforme que celui du soldat anglais, d’armée que l’armée anglaise d’occupation. Ajoutez que la petite minorité extrémiste, qui ne voit d’ennemi à l’Irlande que le