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encore ainsi, à la fin de juillet 1914, le sort de l’Irlando entre ses mains : la crise est indénouable, semble-t-il, si ce n’est par la guerre civile, et de cette guerre civile, préparée par l’Ulster à l’incitation des Tories et avec la tolérance du gouvernement, l’Irlande n’est sauvée que par la guerre étrangère.


III

Celle-ci éclate, et dès le soir du 3 août, le soir même où sir Edward Grey annonce aux Communes l’invasion de la Belgique et prépare l’opinion à l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, John Redmond se lève, — heure dramatique et solennelle, — et en quelques mots émus et simples, d’une immense portée, il offre à l’Angleterre le loyalisme de l’Irlande. Le Parlement applaudit, mais au milieu de l’émotion générale ni le Parlement ni l’opinion ne semblent alors comprendre la vraie signification, mesurer toute la valeur politique de la déclaration du leader irlandais. L’Irlande, pendant sept cents ans, a été la victime de son ennemie l’Angleterre : aujourd’hui, confiante dans la parole donnée, dans le volo acquis du home rule, sans renoncer à ses droits nationaux, elle propose à l’Angleterre la concorde et la conciliation. L’Allemagne escomptait, avec la guerre civile en Ulster, des troubles en Irlande qui eussent paralysé l’Angleterre[1] : l’Irlande nationale rend à l’Angleterre sa liberté d’action. L’Angleterre va participer à la croisade pour la libération des peuples et la défense des petites nationalités : l’Irlande, si longtemps opprimée par elle, se range à ses côtés. Ainsi non seulement, en entrant en guerre, l’Angleterre peut avoir l’esprit en paix quant à l’Ile sœur, mais la voix de l’Ile sœur appuie et « justifie » devant l’opinion du monde l’entrée en guerre de l’Angleterre : voilà ce qu’il y avait dans les graves et fortes paroles de Redmond. — Redmond aurait pu, en ces jours critiques, « traiter » avec le gouvernement, poser ses conditions (on lui a beaucoup reproché par la suite en Irlande de ne pas l’avoir fait) ; notez que le home rule

  1. Les préparatifs de rébellion faits par les Orangistes d’Ulster contre les « libertés » de l’Irlande, la probabilité qui en découlait d’une guerre civile dans l’Ile verte, furent, selon les dires de M. Gerard, ambassadeur des États-Unis à Berlin, parmi les raisons qui portèrent l’Empire allemand à déclarer la guerre, dans la conviction que l’Angleterre serait empêchée d’intervenir.