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le virus révolutionnaire est prolifique et contagieux : la suite de l’histoire allait le prouver une fois de plus.

Voilà donc la « Force physique » qui reparaît en Erin, après un long sommeil, et c’est chez les Ulstériens qu’elle ressuscite, chez ceux qui se disent les « loyalistes. » Le premier ministre, M. Asquith, ne fut pas aveugle au danger : « Un coup plus mortel, dit-il alors, n’a jamais été porté de notre temps, par un groupe d’hommes politiques conscients de leur responsabilité, aux fondations mêmes sur lesquelles repose le gouvernement démocratique. » C’eût été le premier devoir du gouvernement d’agir : il n’osa pas. Il préféra croire ou faire croire à un bluff. Il se contenta de protester en paroles, n’osant pas rompre en visière aux Tories qui avaient monté contre lui cette machine de guerre politique, confiant d’autre part dans ces mêmes Tories pour empocher qu’il ne fût fait de cette machine un emploi dangereux : faiblesse désolante, faute capitale, dont les répercussions désastreuses allaient bientôt se faire sentir et se font sentir aujourd’hui encore, tragiquement. L’Ulster s’arme pour résister aux lois, et le gouvernement laisse faire ! Felix culpa ! heureuse faute, se dirent alors ceux qui, dans l’Irlande nationale, représentaient l’Extrémisme, parce qu’elle réveillera chez nous, contre l’Angleterre, l’esprit de révolte et de violence : c’est l’Orangisme qui ressuscitera le Fenianisme, ce sont les loyalistes qui ouvriront la carrière aux révolutionnaires ! — C’est bien, hélas ! ce qui allait se passer. — Cette faute funeste, les modérés, de leur côté, jugèrent qu’elle les autorisait, voire qu’elle les obligeait à créer chez eux, en réponse, des volontaires « nationaux, » non pour combattre leurs frères, mais pour « défendre et soutenir les droits et libertés de tout le peuple irlandais, sans distinction de croyance, de classe ou de parti. » C’est dans cet esprit de vigilance, mais de tolérance, que, le 26 novembre 1913, alors que l’armée Ulstérienne est déjà en formation depuis un an, la création des volontaires nationaux est décidée à Dublin, sous l’impulsion d’un groupe de promoteurs pour la plupart d’opinion modérée, et pour une petite fraction de tendances avancées. Redmond, qui au début se tient à l’écart du mouvement, vient après quelques mois à en prendre le contrôle, ce qui amène la sécession de la minorité extrémiste. L’organisation se développe rapidement : au mois de juin 1916, elle compte autant d’hommes que l’armée ulstérienne, ou un