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ennemis. » Mais qui pourrait croire à cette néfaste hypothèse à l’heure où le home rule semble en vue et tout proche, où les esprits tendus escomptent son avènement et où, pour la première fois dans son histoire, l’Irlande semble toucher à son but ?


II

Entre ce but et elle, entre l’espoir de l’Irlande et la bonne volonté de l’Angleterre, un obstacle malheureusement s’est dressé : l’Ulster. On sait que l’Ulster, province septentrionale de l’Irlande, a été « planté » d’Écossais protestants, par Jacques Ier, après la « fuite des comtes, » puis pendant tout le cours du XVIIe siècle, grâce à un fort courant d’immigration. Tandis que dans le reste de l’Irlande les envahisseurs successifs, mêlés à la population celtique ou normande, étaient pour la plupart rapidement assimilés par elle et devenaient, selon le mot consacré, hibernis ipsis hiberniores, les immigrés de l’Ulster, malgré un fort exode vers l’Amérique au XVIIIe siècle, font masse et résistent mieux à la fusion. Ils s’hibernisent pourtant, eux aussi, à la longue, ils prennent beaucoup du caractère irlandais ; de tous les habitants d’Erin, s’ils sont de par leur sang écossais les plus énergiques et entreprenants, ils passent aussi pour les plus nerveux et les plus inflammables. A la fin du XVIIIe siècle ils sont les premiers à se lever pour la liberté, à s’enrôler sous le drapeau des « Irlandais-Unis ; » Belfast, rempart aujourd’hui de la réaction, est alors un foyer de rébellion. Cependant, à partir de 18800, l’Ulster protestant se rallie à l’Angleterre qui se l’attache par une politique de faveurs et de privilèges destinée à fomenter la division en Erin et à faire de l’Ulstérien, de l’ « Orangiste, »[1] son soldat en Irlande.

Fidèle à l’Union, jusqu’à nouvel ordre, il s’oppose dès lors à toutes les revendications nationales de l’Irlande. De libéral qu’il était en politique, il passe aux Tories en 1883 quand Gladstone convertit au home rule le parti libéral. Qu’y a-t-il, au fond, dans cet anti-nationalisme, dans cet « Orangisme » de l’Ulster ? Il y a d’abord de l’anticatholicisme, accentué par les rivalités d’intérêts : ces Presbytériens méprisent « l’erreur de

  1. Du nom de Guillaume III d’Orange, du vainqueur de la Boyne. L’Orange Society a été fondé à la fin du XVIIIe siècle par les contre-révolutionnaires antiirlandais en Ulster.