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Et Stendhal :

Ces jolis murs sont bâtis de petites pierres carrées admirablement jointes ; les mâchicoulis sont supportés par un rang de petites consoles d’un charmant profil ; les créneaux sont d’une régularité parfaite. Toute cette construction annonce la richesse et la sécurité ; l’homme qui bâtit est si peu dominé par le sentiment de l’utile et de la peur qu’il se permet les ornements. Ces murs sont flanqués de tours carrées, placées à distances égales et du plus bel effet. On se promène sur leur épaisseur ; jolie vue. Le temps a donné à ces pierres si égales, si bien jointes, d’un si beau poli, une teinte uniforme de feuille sèche qui en augmente encore la beauté.


Millin ne lui doit-il pas mille grâces ? Stendhal n’a-t-il pas coupé sa description par une pensée profonde, laquelle revient à dire que les édifices bien construits et paisiblement ornés prouvent la sécurité de leurs constructeurs ? Il a substitué, à cette teinte brunâtre, qui était banale, cette teinte uniforme de feuille sèche, qui révèle un instinct de coloriste d’autant plus sûr que l’expression avait été mise à l’épreuve par Chateaubriand, au premier livre des Martyrs : « Les murs de l’édifice avaient reçu du temps cette couleur de feuilles séchées que le voyageur observe encore aujourd’hui dans les ruines de Rome et d’Athènes… » — A Mérimée, Stendhal a pris une partie de la Bretagne ; à Millin, une partie de la Provence : quelle autre province revendiquera-t-on bientôt ?

Qu’on le veuille ou non, la question des plagiats de Stendhal est désormais posée : il peut même sembler qu’elle soit résolue. Mais puisque la réponse est encore contestée, puisque les défenseurs obstinés de son texte ne se déclarent pas convaincus, et puisqu’enfin les discussions sur les plagiats sont celles qui passionnent le plus la république des lettres, essayons de fixer ici quelques règles simples à propos d’exemples nouveaux.


II

On dit : c’est une manie que de voir partout des plagiats ; et c’est jouer sur les mots que de donner ce vilain nom à des opérations de l’esprit parfaitement innocentes et légitimes. Il y a des faits qu’on est bien obligé de reprendre et de répéter ; ils sont tombés dans le domaine public. Il y a des idées connues à