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Nous remontons et nous avons encore le temps avant déjeuner d’aller visiter la principale usine électrique de la rive canadienne. Sa façade rappelle le vestibule d’un temple grec ! À l’intérieur, mosaïques et tapis. Dans la vaste salle sont alignées douze dynamos énormes actionnées par autant de turbines et qui tournent sans bruit. Chacune donne 14 000 chevaux ; au total 168 000. En aval de la chute, le Canada construit actuellement une nouvelle grande usine de 400 000 chevaux, au prix de 40 millions de dollars. Dans l’ensemble, on n’a pas encore pris un million de chevaux sur les 10 millions disponibles. À déjeuner, le sénateur Beaubien, qui nous a partout accompagnés et guidés au cours de notre voyage avec un dévouement inlassable, nous fait ses adieux.

On sent dans ses paroles une fierté mêlée de tristesse.

— Je vous ai montré ma patrie, dit-il, ma patrie, fille de la France. N’est-ce pas qu’elle est belle et digne de sa mère ?

Puis, après un silence :

— Il y avait tout de même au Canada autre chose que des arpents de neige !

Ce n’est pas la première fois qu’on nous sort les arpents de neige de Voltaire. Déjà, sur les bords du Saint-Laurent, on nous a finement rappelé que si « à Paris on pouvait vivre sans Québec, » ce n’était qu’à regret que Québec avait vécu et prospéré sans Paris.

Le soir, nous rentrons aux États-Unis et deux jours après nous reprenons à New-York le bateau pour la France.

Comme il était venu à notre arrivée, le sénateur Dandurand est revenu de Montréal pour saluer la mission avant son départ. Tous nous serrons avec émotion la main de ce grand Canadien français, dont le cœur est aussi chaud que l’intelligence est droite et ferme. Merveilleux type d’homme politique, amoureux de beauté, de justice et de liberté !

Pendant la traversée, le soir, tandis que notre paquebot s’en va doucement vers la mère patrie sur une mer tranquille et que l’on danse dans le grand salon, plusieurs d’entre nous s’isolent sur le pont et pensent à ce qu’ils ont vu.

Ainsi, il y a dans cette seule province de Québec, un groupement de trois millions de Français, compact, vivant de sa vie