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suffirait à constituer là-bas une nouvelle France plus peuplée que la vieille mère-patrie.

Après le banquet où les « santés » ont été portées avec une solennité particulière, celle du Roi au commencement et à la fin, nous allons au camp d’Abraham remettre au 22e régiment canadien le drapeau que lui envoie le maréchal Foch, son colonel honoraire. Ce 22e canadien (en réalité, un bataillon) était pendant la guerre uniquement composé de Canadiens français ; il s’est illustré à Ypres, à Vimy, etc. et son effectif a été plusieurs fois renouvelé. A la gauche du régiment se trouvent les anciens combattants et les blessés.

De toutes parts la foule nous entoure et l’on sent que les cœurs sont agités par des sentiments qui remontent comme des lames de fond. C’est que la scène se passe sur le terrain de la défaite de 1759. C’est ici même que la France a perdu le Canada. Son âme et son génie y sont restés !

Après la revue du 22e, visite au cardinal Bégin, vénérable vieillard de quatre-vingt-deux ans, qui nous reçoit avec une bonne grâce charmante. Il revient d’une tournée pastorale et se félicite du bon esprit de son peuple ; il en parle comme un père de ses enfants. Il nous dit son amour pour la France et raconte son dernier séjour à Paris :

— J’étais descendu à l’Hôtel du bon La Fontaine

Tout le monde rit.

— Vous le connaissez donc ! reprend-il en souriant ; c’est un logis tranquille, honnête et fort respectable ; j’y étais très bien.

Et la conversation continue sur ce ton.

Au Canada, la situation du clergé n’est pas la même que chez nous ; il est mêlé à la vie publique et familiale, il fait partie intégrante de la société, il vit au milieu du peuple. Partout, à l’arrivée à la gare ou à la descente du bateau, aux banquets, nous trouvons les évêques, archevêques, et aussi les pasteurs protestants, quand il y en a. Ils sont entourés du respect général. Ce matin nous avons tous remarqué que lorsque Mgr Landrieux a été présenté au lieutenant-gouverneur, ce dernier a mis genou en terre et lui a baisé la main. Même attitude de la part du maire, à l’Hôtel de ville. La liberté d’action du clergé est entière. Les écoles sont confessionnelles et le budget de l’Instruction publique est réparti entre elles au prorata du nombre des élèves. Catholiques et protestants vivent