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Français de pure race, aussi Français que vous-mêmes, ayant la même langue, les mêmes mœurs, les mêmes traditions. Nous n’avons pas connu vos révolutions ; nous avons continué notre évolution propre dans l’esprit de l’ancienne France, mais nous sommes vos frères, frères de sang et frères de cœur. La deuxième nous a permis de nous développer ; elle nous a laissé le bien suprême, la liberté. Nous sommes libres dans notre province de Québec ; nous y sommes libres de toutes façons, à tous les points de vue : politique, religieux, économique, et de cela nous sommes à notre seconde patrie profondément reconnaissants.

« Et cependant nous ne sommes ni Français, ni Anglais.

« Nous sommes ce que nous sommes devenus : des Canadiens.

« Vous comprenez bien ? ajoutent-ils en insistant. Quand vous nous avez quittés, nous étions 65 000 ; nous sommes devenus depuis plus de 4 millions, dont 3 millions habitent le Canada. Nous avons aujourd’hui l’âge d’homme. Notre patrie, c’est la terre que nous avons défrichée et peuplée, celle où nous avons pris racine, c’est le Canada ! »

Ces idées seront affirmées publiquement, dès le soir même, à la fête qui sera donnée, à bord du Paris, à la haute société new-yorkaise.

Il y a quelque chose qu’ils ne disent pas, mais que nous reconnaîtrons bientôt : cette situation est également celle des Canadiens anglais, eux aussi Anglais de cœur, c’est entendu, mais devenus Canadiens avant tout. Il est certain que le Canada marche à l’indépendance totale. Le pouvoir de l’Angleterre sur ce pays est purement nominal ; il se gouverne lui-même et son Conseil des ministres est souverain. Le gouverneur général est anglais ; les gouverneurs de provinces sont soit d’origine canadienne, soit d’origine anglaise, et il serait impossible aux uns comme aux autres d’agir autrement que dans l’intérêt direct et immédiat du Canada.

À noter que les forces anglaises qui occupent cette énorme étendue de territoires, plus grande que l’Europe, ne dépassent pas cinq régiments ! tout juste de quoi fournir des gardes d’honneur aux gouverneurs.

Chose curieuse, les races anglaise et française qui forment le peuple canadien ne se mélangent pas ; elles se développent parallèlement en restant distinctes, chacune gardant sa langue, ses mœurs et ses usages.