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reconnaissante. Nous l’avions baptisé Mahmoud, parce qu’il venait de Mahmoud-Pacha, et ce nom, qui fait penser aux gros mammouths, semblait drôle, donné à une petite bête aussi chétive.

Mahmoud ne voulait plus nous perdre de vue, mon fils ou moi, acceptant tout au plus la compagnie des domestiques. Il nous suivait partout en courant sur ses petites pattes trop maigres, qui le supportaient à peine. Le bon lait, les meilleures pâtées ne lui disaient pas grand chose ; sans doute, il était trop tard, il avait trop souffert, ses intestins étaient atrophiés.

Le lendemain de son arrivée, il ne se trouvait bien que sur l’épaule de l’un de nous. Obstinément, il grimpait le long des pantalons, de la veste et s’installait là-haut, sa tête appuyée contre notre joue ; blotti, comme cela, il était heureux et faisait son ron-ron. Où avait-il pu apprendre l’affection et la tendresse, ce petit abandonné, dont les premières pensées ne dataient que de trois mois à peine ?

Par moments, le petit malade se sentait la force de jouer un peu avec un bouchon au bout d’une ficelle ; cependant il ne se rétablissait pas, ses petits os semblaient près de percer sa peau. Un vétérinaire, appelé, ordonna de petits remèdes, dit qu’il faudrait surtout une chatte nourrice. Mon domestique Djemil découvrit la chatte cherchée dans la maison d’une vieille femme voisine. Cette vieille voisine consentit à sevrer ses petits chats et à nous envoyer leur mère, deux fois par jour, moyennant trois sous par visite, — en tout six sous de lait de chat, à l’abonnement. — Le grand colosse Djemil allait chercher, dans un panier, la mère chatte et pendant tout le temps que le petit tétait, il la tenait par les quatre pattes, car cette opération la mettait toujours dans une colère à peine contenue. Après on servait à la nourrice une pâtée, qu’elle mangeait gloutonnement, puis elle se sauvait comme si le diable l’emportait.

Mais la chatte nourrice avait beau venir matin et soir, le pauvre petit Mahmoud ne grossissait pas. Sa tendresse et son besoin de protection augmentaient de jour en jour. Il pleurait dès qu’on le laissait seul et il ne voulait plus quitter son poste, sur mon épaule, la tête contre ma joue ; là, il oubliait son mal et tout…

Maintenant, son poil était tout dépeigné, tout englué par les drogues que l’on essayait de lui faire prendre ; il en arrivait