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lui la plupart du temps de suivre l’opinion commune : son œuvre se moque de beaucoup de gens et de beaucoup de choses, son œuvre en vers et en prose, ses romans, ses Fiches et ses Fables. Il est un de nos railleurs les moins cléments.

L’un de ses bons livres est le Pays de l’instar. Qu’est-ce que ce pays-là ? Ce n’est pas la province. Non : la province doit à son paysage, à son climat, doit à son histoire et à maintes circonstances particulières, ses mœurs, ses coutumes, ses façons de penser, une âme que vous ne confondrez pas avec une autre. Le pays de l’instar n’est pas situé ici ou là ; on ne saurait le dessiner sur la carte et le placer dans l’histoire. Il n’appartient ni à l’espace ni au temps, pour ainsi dire. Ses habitants, épars ou que les hasards les plus fols ont groupés, n’ont qu’un rêve : vivre à l’instar de Paris. Imaginez des vagabonds qui n’aimeraient pas le vagabondage, des exilés qui ne s’installent pas où l’exil les a menés, des bohémiens qui ne viendraient pas de Bohême. Mais d’où viennent-ils ? De Paris ? Ou d’ailleurs ! À Paris ou ailleurs, ils seraient encore des bohémiens, des exilés, des vagabonds. Comme ils ne sont exactement nulle part, ils ne viennent de nulle part. Ils ont une vague notion de Paris et ne vivent pas à l’instar de Paris, comme ils le voudraient : ils vivent au gré de cette notion vague. Ils imitent les uns les autres. Ils ne sont pas originaux.

Est-ce un grand malheur, de n’être pas original ? Les gens de l’Instar sont dépourvus de cette originalité la moindre qui fait que l’on est tel ou tel et que l’on mérite un nom. Les gens de l’Instar ignorent ceci : « la vérité n’est pas plus de vivre en Instar que dans le pays d’à côté ; ici ou là, pas davantage, mais bien ailleurs, c’est-à-dire chez soi. » Être de chez soi, pour être soi ! Autrement, l’on a beau faire, on n’est personne.

M. Franc-Nohain a rédigé un « petit précis de la conversation franco-instar, » en quinze dialogues, pour choisir un appartement, pour donner un grand dîner, pour aller à la préfecture, pour blâmer une certaine personne, pour aborder les questions d’art, pour agiter les grands problèmes, etc. Pour agiter les grands problèmes, on dit : « Je suis le premier… » Le premier ?… « à reconnaître que le suffrage universel n’est pas sans défauts ; mais que mettrez-vous à la place ? » On dit : « Ce n’est pas tout de démolir, il faut pouvoir reconstruire après. » On dit : « Je suis partisan du progrès, ennemi des révolutions. » Et l’on dit : « Appelez-la comme vous voudrez ; mais il faut bien reconnaître l’existence d’une puissance mystérieuse qui nous dépasse et qui nous dirige. » On dit cela. Cela est-il vrai ? Cela n’est