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de se montrer incapables de sentiments élevés. O homme ! seras-tu donc toujours insensé ? »


Depuis longtemps l’Empereur avait annoncé et souvent il répétait qu’une fin, plus prochaine qu’on ne le pensait, viendrait mettre un terme à ses maux, et ni lui ni personne n’ajoutait foi à cette espèce de prédiction, qui cependant devait s’accomplir quelques années plus tard. Ce qui nous éloignait d’une telle pensée, c’est que son physique ne portait aucune empreinte qui pût le faire soupçonner malade. Il avait conservé son embonpoint, avait bon appétit et était souvent de bonne humeur. De toutes les indispositions qu’il avait à Sainte-Hélène, la seule remarquable était une espèce de catarrhe et on le lui avait connu avant 1814. Outre cette indisposition, qui, du reste, n’était que passagère, il en avait une autre qui n’était qu’un malaise qu’il disait ressentir dans le corps et qui lui causait parfois des douleurs sourdes : il croyait être attaqué du mal de foie. On pensait que son but, en se disant malade, était de tromper le gouverneur et le ministère anglais et de décider celui-ci à donner des ordres pour qu’il fût transféré dans un autre pays ou remis en liberté. Mais l’Empereur avait affaire à des hommes peu sensibles aux maux d’autrui et incapables de sentiments généreux. Ce ne fut que dans les derniers mois de l’année 1820, que ceux qui l’entouraient s’aperçurent de quelque changement dans sa santé et reconnurent, dans les premiers de 1821, qu’il était réellement malade. Il ne leur en avait point imposé. Parfois il avait dit à ceux qui souriaient lorsqu’il leur parlait de ses douleurs intérieures : « Eh ! Messieurs ! vous croyez que je badine ? Il n’en est pas moins vrai que je sens là (en mettant sa main sur le côté, au défaut des côtes) quelque chose qui n’est pas ordinaire. »


SAINT-DENIS,